Au printemps 1953 la défaite de
Diën Biën Phu signait le début de la fin de la présence française en Indochine.
L’été suivant les derniers officiers français quittaient ce qu’on appelle
désormais le Vietnam. La retraite n’est pas facile et la redécouverte ou la
découverte de la France n’est pas toujours une évidence. Ainsi, parmi les
jeunes officiers qui regagnent la France il en est un qui n’y est pas né. Il
est français, puisque l’Indochine et son père l’étaient. Mais, lui, il est né à
Hanoï et sa mère est indochinoise. Il connait la France, bien sûr, mais plus en
visiteur qu’en résidant. C’est donc un arrachement, d’autant qu’il laisse
derrière lui sa compagne qui n’est pas française et qui, dans la confusion du
départ massif, ne trouve ni les papiers ni les transports pour partir aussi.
Voilà donc, au milieu des années
cinquante, un jeune eurasien qui s’installe dans le village de ses ancêtres
français, dans un pays en reconstruction après la deuxième guerre et amer de sa
défaite en Asie. La vie n’y semble ni plaisante ni prometteuse et le jeune
homme décide de partir pour une autre partie de l’empire, pendant qu’il existe
encore; il embarque pour l’Afrique Équatoriale Française. Il aborde à
Pointe-Noire puis part vers l’intérieur du pays, dans la région du Pool, pour
établir une exploitation agricole.
Pendant ce temps sa compagne a
trouvé les moyens de quitter le Vietnam et arrive en France, dans le village
familial. Mais son amant n’y est plus. Sans argent, elle travaille pendant plus
d’un an comme couturière afin d’économiser l’argent de son billet de bateau en
direction de l’Afrique Centrale. Elle embarque finalement à son tour, débarque
à Pointe-Noire, apprend que l’homme qu’elle cherche en est reparti, part vers
l’intérieur du pays et fini, comme Évangeline* avec son Gabriel, par retrouver
son amant. Mais si Évangeline et Gabriel se retrouvent au seuil de la mort tel
n’est pas le cas de nos deux amoureux. Ils vont se marier, faire leur vie
ensemble et avoir plusieurs enfants. Ils vont connaitre la fin de l’Afrique
Équatoriale Française comme ils ont connu la fin de l’Indochine Française, ils
vont devenir congolais et poursuivre leur vie dans ce nouveau pays. Leurs
enfants, bien sûr, ont un pied au Congo et l’autre en France, ont des traits eurasiens
et mangent des plats vietnamiens en plein centre de l’Afrique.
L’un de ces enfants étudiera le
droit à Nice, y deviendra magicien dans les boites de nuit, reviendra à
Brazzaville où il gérera des discothèques, entre autres affaires. Aujourd’hui, dans
sa maison, il y a une photo d’un fringant officier français, assis en grand
uniforme, dans un pousse-pousse. La photo a été prise à Hanoï, en 1918. C’est
le grand-père de Monsieur Guy.
Les êtres se constituent ainsi,
dans les grands brassages des empires et des guerres, et ils ont plus de
consistance que tous ces rêves fumeux de puissance et d’éternité.
*Évangeline est un personnage mythique de l’Acadie (Est du
Canada) qui est séparée de son amant, Gabriel, lors de la déportation des
acadiens. Elle le retrouve des décennies plus tard, au seuil de la mort.
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