dimanche 28 mars 2010

Cruelle défaite pour les femmes

La semaine dernière, à Ottawa, les députés ont défait une motion présentée par les libéraux. Ce n’est pas la première fois, me direz-vous. Mais cette motion portait sur la présence ou non, dans l’aide internationale, du contrôle des naissances.

Au Canada les femmes ont gagné le contrôle de leur corps et ce contrôle passe par plusieurs droits essentiels ; le droit de refuser une relation sexuelle, même à son conjoint légal, le droit de refuser de porter un enfant, le droit de consacrer sa vie à diverses choses et de ne pas être réduite qu’à la procréation.
Ces droits ont été gagnés de haute lutte par les femmes. Mais nous en profitons tous. Nos familles ont évoluées, nous laissant plus de temps pour être nous-mêmes et pour développer des contacts de qualité avec chacun. La carrière de ma conjointe lui est un lieu d’épanouissement et notre vie commune est plus riche de nos expériences personnelles ; notre situation financière est meilleure qu’avec un seul revenu ; nos enfants ont chacun eu l’occasion de nous connaître mieux ; comme couple, nous avons pu choisir le type de famille que nous voulions.
Ces droits sont fragiles. Il y a régulièrement des groupes qui veulent en remettre l’un ou l’autre en question, particulièrement le droit à l’avortement. Il faut comprendre que c’est un chaine délicate ; enlevez un de ces droits et vous les menacez tous, vous questionnez le type de relation que nous avons aujourd’hui, entre les femmes et les hommes. Je veux bien qu’il y ait des nostalgiques de l’époque de «Papa a raison» mais je ne s’en suis pas. Je ne désire pas entrer à la maison pour y trouver une épouse soumise, le souper prêt et une routine immuable. Et je crois que la grande majorité d’entre nous en est au même point. Nous apprécions l’égalité qui s’est instaurée, les exigences qu’elle suppose et les découvertes qu’elle suscite ; deux têtes qui discutent débouchent sur des résultats plus riches qu’une seule qui impose.

Je travaille dans d’autres pays, mon besoin d’implication faisant que je veux agir, à Granby, au Canada et là où je peux servir. J’ai ainsi vu bien d’autres sociétés sur tous les continents. Ce que je sais c’est que les premières victimes des guerres, des génocides, des épidémies, des séismes, ce sont les femmes. Pas parce qu’elles y meurent davantage que les hommes mais parce que les premiers abus de pouvoir qui s’exercent dans de telles conditions s’exercent sur leur corps. C’est par le viol que se font les opérations de terreur, par l’ensemencement forcé des femmes de l’autre groupe que se font les purifications ethniques. Dans la vie quotidienne, à travers la promiscuité des bidonvilles, au-delà de toutes les religions du monde, ce sont les filles de douze ans qui sont prises, mère à treize ans, femme à quinze et vieille à vingt.
Prétendre agir en développement international sans financer les activités de contrôle de naissance c’est imposer aux femmes des autres pays des réalités que les femmes du Canada refusent. En fait, c’est condamner des populations entières, femmes, enfants et hommes à un mode de vie dont nous ne voudrions pas, dont nous avons émergés peu à peu et dont tous les humains souhaitent émerger.
Ce qui s’est passé à Ottawa c’est que des hommes, car les députés sont majoritairement des hommes, ont voté contre l’intérêt des femmes. Quelque soit leur parti ils se sont montré petits, indifférents au sort de la moitié de l’humanité et ignorants de nos réalités à la fois sociologiques et historiques.

vendredi 26 mars 2010

Mon absence

J'ai été très absent ici, étant très présent ailleurs. Le travail en Haïti s'est enchaîné, le tremblement de terre du 12 janvier est survenu. Même si j'ai écrit et publié des textes ailleurs j'ai négligé de le faire ici. Je vais tenter de reprendre un peu nos habitudes.
Voici, pour recommencer, un texte datant d'il y a quelques semaines.


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Béthanie, mercredi le 10 février, 6h30.
Autour de la maison c’est la quiétude complète, celle de l’hiver qui est encore plus profonde que celle de l’été. À part les traces du renard dans la neige sous mes fenêtres, à part les folles envolées d’un groupe d’oiseaux gourmands qui se précipitent sur les dernières grappes du vinaigrier, il n’y a que les bruits tranquilles du feu de bois dans la cheminée, que la force apaisante d’une demeure solide et habitée, riche de souvenirs familiaux.
Demain, à cette heure, je serai dans l’avion pour Miami avec plus de 160 kilos de bagages. Je retourne à Port-au-Prince avec des tentes, de l’argent, du chasse-moustiques, des médicaments. Il n’est pas évident de trouver sept tentes au mois de février, encore moins évident de trouver près de deux litres de chasse-moustiques. Ce qui m’étonne encore c’est l’absence de réaction des caissières. Au magasin où j’ai enfin trouvé les abris de toile que je cherchais, la caissière a tout de même fait le commentaire que je profitais bien de la vente des produits hors saison ; mais à la pharmacie sa collègue ne s’est pas interrogée deux secondes sur ce qui pouvait me motiver, alors qu’il fait moins dix, à acheter huit bouteilles de 240 ml chacune de produit contre les insectes piqueurs.
En fait, parmi les nouveaux dangers qui guettent la population de Port-au-Prince il y a le paludisme et la fièvre dengue. Les moustiques nocturnes peuvent transmettre la malaria, ou paludisme, maladie contre laquelle nous disposons maintenant de plusieurs traitements. Mais les moustiques diurnes, eux, sont parfois transmetteurs de la dengue, dont il existe plusieurs variétés et contre laquelle nous n’avons pour ainsi dire pas de moyens médicaux. Il faut déjà être prudent en temps normal durant la période des pluies et se protéger avec un répulsif le jour et avec une moustiquaire la nuit. Avec les ruines qui occupent actuellement une grande partie de la ville, les mares et les flaques d’eau croupie vont être nombreuses, ce qui va favoriser l’explosion de la population de moustiques.
Demain je serai donc en route. Montréal Miami, puis Miami Santo Domingo, puis, par un moyen ou par un autre, Santo-Domingo Port-au-Prince en espérant arriver vendredi dans la journée. J’irai alors à nos bureaux où se regroupe notre personnel haïtien dont la grande majorité a perdu leur maison le 12 janvier. Et j’aurai avec moi des choses qui n’ont rien de spectaculaire mais qui sont essentielles.
Depuis le séisme il y a bien des bonnes volontés mais trop souvent désorganisées et parfois davantage publicitaires qu’utiles. Bien sûr il y a des blessés à soigner et transporter une équipe médicale peut se justifier. Et puis cela fait de belles photos, de beaux reportages, de belles images. Mais on devient plus sceptique quand on sait que les grandes agences mondiales sont déjà sur place, que certains groupes interviennent sans même une autorisation de notre ambassade et sans connaître ni le pays ni ses besoins.
Des tentes, des toilettes chimiques, du savon, du purificateur d’eau, du chasse-moustique, du papier de toilette et des serviettes hygiéniques. Il n’y a rien là de bien excitant pour des journalistes ; personne ne se fera photographier près de toilettes de chantier. Et pourtant ces besoins sont criants. Oui, il y a près de 250 000 morts, oui il y a des milliers de mutilés et de blessés. Mais il y a aussi un million de sans-abri, et les blessés et les mutilés en font partie. C’est magnifique d’opérer quelqu’un mais c’est inutile s’il doit mourir de la dengue trois semaines plus tard parce que personne ne veut s’occuper des toilettes, tellement moins glorieuses que les tables d’opération.
La santé publique n’est pas qu’une affaire de médecins, surtout pas qu’une affaire de chirurgien. Les égouts ont probablement fait davantage pour notre santé collective que les progrès de la chirurgie. Et il faut bien que quelqu’un s’en préoccupe.
Les chiffres sont énormes et on oublie leur valeur. Imaginez toute la population de l’île de Montréal morte, blessée ou sans-abri. Imaginez que vous deviez enterrer cinq fois tous les habitants de Granby, et que vous deviez en loger vingt fois plus. Hommes, femmes, enfants.
Demain je retourne avec des tentes et du chasse-moustique parce qu’il faut bien que ce soit fait. Au moins pour ceux et celles dont je suis responsable, pour ceux avec qui je travaille depuis 2008 et qui sont, avec leur famille, à la rue.

Bernard Demers