mardi 13 juillet 2010

Port-au-Prince; 6 mois après

Si vous comparez deux photos de la cathédrale de Port-au-Prince, l’une prise le 13 janvier au matin et l’autre prise six mois plus tard, le 13 juillet, vous ne verrez pas de différence. Même chose avec le palais national, avec l’édifice de la télévision ou avec l’un ou l’autre des nombreux hôpitaux qui se sont écrasés lors du séisme.

Faut-il en conclure pour autant que la reconstruction n’avance pas ?

Construire une cathédrale prend du temps. À Granby, il a fallu six ans, de 1900 à 1906, pour construire l’église Notre-Dame, sur la rue Principale, près du Cégep. Cela s’est fait dans une ville normale, dans une période normale, avec des équipements normaux et des ouvriers entrant chez eux le soir dans une maison normale pour y manger un repas normal. Et il n’y avait pas une première église à démolir, à la main, à coups de masse, en transportant les débris à la pelle.

D’accord, me direz-vous, construire prend du temps mais démolir ? Comment se fait-il que cela prenne tant de temps ? Comment se fait-il que six mois plus tard tout ne soit pas dégagé ? Souvenez-vous du 11 septembre 2001 ; les tours jumelles ont été détruites en quelques heures…mais il a fallu deux ans et demie pour ramasser et déplacer les débris, 30 mois pour dégager l’espace et le préparer pour une reconstruction qui, neuf ans plus tard, n’est toujours pas commencée. La société la plus riche du monde, avec les équipements les plus modernes et les ressources financières les plus abondantes, avec l’ensemble de la ville de New York entièrement fonctionnelle autour du site à dégager, a pris 30 mois pour enlever les débris.

Ici nous sommes une poignée de privilégiés à mener une vie à peu près normale avec une maison où entrer le soir, avec l’argent nécessaire pour aller dans les marchés d’alimentation acheter des denrées importées, avec la possibilité de dormir derrière des grilles et des gardes. Pour au moins un million de personne la nuit est faite de craintes et de dangers ; risques de vol, de viol, de meurtre, dans des maisons endommagées ou dans des campements peu salubres. La journée se passe à trouver de quoi vivre pour la journée qui passe, demain étant une autre journée qui devra se passer à trouver de quoi y survivre.

L’aide internationale est relativement désorganisée, les bonnes volontés se bousculent et parfois s’annulent. J’aurais beaucoup à dire sur des actions vaines et dérisoires, des choix grandiloquents mais fondés sur une grande méconnaissance des réalités du pays. J’aurais même beaucoup à dire sur le mépris plus ou moins voilé que certains bienfaiteurs ont pour le pays qu’ils sont supposés aider. Mais il reste que, en six mois, des centaines de milliers de tentes, de kits de cuisine, de couvertures, de vêtements ont été distribués, que des latrines, des réservoirs d’eau, des douches ont été installés, que des malades, des blessés, des amputés ont été soignés. Et que des dizaines de milliers de corps ont été retirés des débris et enterrés.

Imaginez toute la région de Montréal rasée, pleine de gravas, de cadavres, sans eau, sans électricité, sans hôpital, sans machinerie et devant compter sur l’aide de Sept-Iles et de Rimouski pour tout réparer et reconstruire. Imaginez que six mois après le désastre certains s’étonnent que vous ne soyez pas plus avancés.

Moi, ce qui m’impressionne ici, c’est la force des gens ; six mois après, ils persistent, ils essaient, ils se reconstruisent.
Les symboles peuvent attendre.