mercredi 25 mars 2015

Retards




Une vielle plaisanterie, ou plutôt une réplique tellement répétée qu’elle en est usée à la corde, porte sur ce blanc qui dit à un africain qu’il est en retard et qui se fait répondre «Mais monsieur, si vous vous avez la montre, nous nous avons le temps».
Malheureusement la plaisanterie porte sur une réalité qui ne change pas, sauf durant de brèves périodes, dans un pays ou dans un autre. Il arrive en effet parfois, comme ici à la fin des années soixante-dix, qu’un état sous l’égide d’un chef visionnaire décide de faire respecter les horaires de travail et que cela fonctionne. Mais, le reste du temps et sur le reste du continent, la norme est le retard. On est en retard à cause de la pluie, pour une course à faire, pour une panne, pour une autre réunion. On est surtout en retard d’une heure, d’une heure et demie. La ponctualité est l’exception, l’anormalité, la bizarrerie.
Lors d’une rencontre il y a quelques semaines nous avons commencé une heure et vingt en retard. Nous étions douze autour de la table. Cela représentait donc seize heures de travail effectif perdu soit deux jours. J’ai demandé à mes partenaires quel était le prix de ces retards accumulés. Après quelques secondes d’incompréhension nous nous sommes mis à bâtir un estimé du coût des retards dans un pays comme le Congo.
Au Canada, comme dans tous les pays industrialisés, on estime chaque année le cout de l’absentéisme au travail en valeur absolue et en pourcentage du Produit National Brut. Et cela représente quelques milliards de dollars même si nous avons le culte de la ponctualité. Or, les retards sont à bien des titres pires que les absences. Quand un employé est absent sa tâche est reportée ou confiée à quelqu’un d’autre. Mais quand un employé est en retard, surtout à une réunion, il empêche d’autres de travailler et il multiplie les effets de son retard. Ainsi, sur une groupe de douze, le premier arrivé attend, le second aussi, le troisième de même; ce n’est qu’au septième que l’on va envisager de commencer. Tous ces retards se cumulent et forment une perte de temps travaillé plus importante.
Au Congo le retard est la norme. Vous pouvez facilement estimer qu’il représente une heure par travailleur et par jour soit quinze pour cent de la force de travail du pays. Comme le pays est très peu industrialisé, très peu informatisé, la production est en lien direct avec la capacité de production des individus sans être réellement multipliée par des machines. Bref, c’est quinze pour cent du produit national brut qui s’envole, même pas en fumée, simplement dans le néant du retard. C’est la différence entre être un pays en développement et un pays émergent, la différence entre chercher à se développer et l’être vraiment.
Qu’est-ce qui m’a donné l’idée de traiter de ce sujet, bien délicat et qui pourrait vexer certains? Simplement que je risquais d’être en retard pour mon article. Culturellement, j’en suis incapable et je souhaite de tout cœur à mes partenaires de développer eux-aussi ce trait culturel.

mardi 10 mars 2015

Portraits de Montréal, portraits du monde




Je suis au Congo pour travailler sur la gouvernance du système paramédical. Souvent mes interlocuteurs pensent que je travaille sur les règlements et les lois, sur la mécanique officielle du système. Mais, en fait, la gouvernance ce n’est pas cela.
La gouvernance repose sur une attitude, dont la présence ou l’absence plus ou moins marquée peut être mesurée objectivement chez des gestionnaires, dans des institutions, dans des réseaux, bref dans des systèmes. Cette attitude de base est celle de l’ouverture, de la transparence, laquelle est rendue possible car le gestionnaire, ou l’institution, ou le système, travaillent pour les gens, pas pour eux-mêmes. Bref, la gouvernance c’est la gestion du bien publique pour le bien publique, la gestion de ce que nous mettons en commun pour que chacun en retire le meilleur usage possible tout en pouvant influencer la manière dont tout cela se fait.
Bien sûr, la gouvernance suppose des règlements, des lois, des processus, des normes, mais elle est d’abord un travail d’humains sur les humains. La sottise la plus répandue, et la plus dommageable, est de gérer l’État pour l’État, le parti pour le parti, le ministère pour le ministère, l’école pour l’école. Aucune de ces institutions ne vaut un seul des humains qu’elle doit servir. Ce principe de base est malheureusement très souvent oublié, ou méconnu. C’est pourquoi je ne manque pas de travail.
Il existe un site intitulé Portraits de Montréal (http://portraitsdemontreal.com/), inspiré du blog Humans of New-York. Ce qui est merveilleux dans ce site, que je vous suggère d’aller voir sans tarder, est qu’il nous ramène à l’essentiel; les humains, toutes sortes d’humains. Vous n’y verrez ni photos du fleuve, ni photos d’immeubles officiels, pas davantage de photos de célébrités, sauf si elles passaient dans la rue, comme nous le faisons chaque jour. Car ce que nous montre ce site c’est nous-mêmes, dans notre quotidien. Vous y voyez une multitude de personnes, dans leur unicité mais, aussi, dans leur universalité. Cela vous ramène à vous et à ce que vous faites de votre vie.
Dans Portraits de Montréal j’ai trouvé les images et les entrevues de mes trois enfants. J’ai lu comme leurs propos se recoupaient, ce qu’ils disaient d’eux-mêmes et de leur relation. Au cours de ma vie j’ai écrit des livres, construit des maisons, planter des arbres et fait des enfants; j’aurais donc réussi ma vie, selon une idée toute faite qui circule mais que personne ne sait vraiment à qui attribuer. J’ai aussi eu la chance de rencontrer des milliers de gens, un peu partout dans le monde, dans des administrations ou dans des salles de cours; j’en ai peut-être influencé quelques dizaines et j’ai peut-être changé, pour le mieux, le destin de trois ou quatre. Mais, ce qui me touche et me parait essentiel, aujourd’hui, c’est de voir que mes enfants sont beaux, instruits, responsables, têtus, libres. Ils sont, en fait, de bons exemples de ce que devraient être les citoyens d’un monde bien gouverné.