Une vielle plaisanterie, ou
plutôt une réplique tellement répétée qu’elle en est usée à la corde, porte sur
ce blanc qui dit à un africain qu’il est en retard et qui se fait répondre
«Mais monsieur, si vous vous avez la montre, nous nous avons le temps».
Malheureusement la plaisanterie
porte sur une réalité qui ne change pas, sauf durant de brèves périodes, dans
un pays ou dans un autre. Il arrive en effet parfois, comme ici à la fin des
années soixante-dix, qu’un état sous l’égide d’un chef visionnaire décide de
faire respecter les horaires de travail et que cela fonctionne. Mais, le reste
du temps et sur le reste du continent, la norme est le retard. On est en retard
à cause de la pluie, pour une course à faire, pour une panne, pour une autre
réunion. On est surtout en retard d’une heure, d’une heure et demie. La
ponctualité est l’exception, l’anormalité, la bizarrerie.
Lors d’une rencontre il y a
quelques semaines nous avons commencé une heure et vingt en retard. Nous étions
douze autour de la table. Cela représentait donc seize heures de travail
effectif perdu soit deux jours. J’ai demandé à mes partenaires quel était le
prix de ces retards accumulés. Après quelques secondes d’incompréhension nous
nous sommes mis à bâtir un estimé du coût des retards dans un pays comme le
Congo.
Au Canada, comme dans tous les
pays industrialisés, on estime chaque année le cout de l’absentéisme au travail
en valeur absolue et en pourcentage du Produit National Brut. Et cela
représente quelques milliards de dollars même si nous avons le culte de la
ponctualité. Or, les retards sont à bien des titres pires que les absences. Quand
un employé est absent sa tâche est reportée ou confiée à quelqu’un d’autre.
Mais quand un employé est en retard, surtout à une réunion, il empêche d’autres
de travailler et il multiplie les effets de son retard. Ainsi, sur une groupe
de douze, le premier arrivé attend, le second aussi, le troisième de même; ce n’est
qu’au septième que l’on va envisager de commencer. Tous ces retards se cumulent
et forment une perte de temps travaillé plus importante.
Au Congo le retard est la norme.
Vous pouvez facilement estimer qu’il représente une heure par travailleur et
par jour soit quinze pour cent de la force de travail du pays. Comme le pays
est très peu industrialisé, très peu informatisé, la production est en lien
direct avec la capacité de production des individus sans être réellement
multipliée par des machines. Bref, c’est quinze pour cent du produit national
brut qui s’envole, même pas en fumée, simplement dans le néant du retard. C’est
la différence entre être un pays en développement et un pays émergent, la
différence entre chercher à se développer et l’être vraiment.
Qu’est-ce qui m’a donné l’idée de
traiter de ce sujet, bien délicat et qui pourrait vexer certains? Simplement
que je risquais d’être en retard pour mon article. Culturellement, j’en suis
incapable et je souhaite de tout cœur à mes partenaires de développer eux-aussi
ce trait culturel.