mercredi 17 décembre 2014

Un Demers congolais




Ma grand-mère Demers était une femme adorable. En fait, toutes les femmes Demers, de ma famille de Québec, étaient ou sont des femmes adorables, spécialement celles que nous désignons depuis toujours comme «les tantes de Québec». Leur plus grand et leur plus simple mérite c’est d’être des gens foncièrement bons. Ce n’est pas si facile et ce n’est pas si courant.
Au tout début des années soixante-dix je suis allé passer quelque jours chez ma grand-mère avec un ami rwandais. En fait, je lui faisais surtout visiter la ville. Nous couchions, et nous mangions, dans ma famille, nos revenus d’étudiants étant ce qu’ils étaient. Les africains étaient alors pour le moins rares dans la vielle capitale et mon ami était le premier noir que ma grand-mère rencontrait «dans la vraie vie». Elle nous a reçus avec sa gentillesse habituelle, ne s’étonnant en apparence ni de la couleur de la peau ni du gigantisme de mon collègue (quand les rwandais décident d’être grands, ils ne font pas les choses à moitié). Ce n’est que plus tard, en parlant à ma mère au téléphone, qu’elle a laissé échapper un «il est bien l’ami de Bernard, même s’il est noir». Et ce n’était pas du racisme, bien au contraire, mais l’expression un peu étonnée que, finalement, on est pas mal tous pareils en autant qu’on soit quelqu’un de bien.
Ici, à Brazzaville, je suis la minorité visible, presque aussi rare que mon copain à Québec il y a plus de quarante ans. Parfois on m’appelle «le blanc» et ce n’est pas davantage raciste, ce n’est qu’un constat. Bien sûr, il arrive parfois que le ton de la voix montre que la personne qui m’interpelle dépasse le simple constat, mais c’est très rare. En fait, le plus important, quel que soit la couleur de notre peau, c’est d’agir comme quelqu’un de bien.
Tout cela pour vous dire que Demers, pour moi, est un beau nom parce qu’il désigne des gens de cœur, des gens qui veulent agir selon le bien. Or, il se trouve que mon nom a plu ici à quelqu’un de mon entourage et cela assez pour qu’il le donne à son fils nouveau-né. Ne vous y trompez pas, je ne suis pas parrain, je ne donne pas mon prénom. C’est de mon nom qu’il s’agit, de celui de toute cette grande famille qui est la mienne, les Demers. En effet, au Congo, il arrive qu’on reprenne ainsi le nom de famille de quelqu’un pour le donner à un de nos enfants. On peut le faire par amitié, par estime, pour fournir un modèle ou simplement parce qu’on en aime la sonorité.
 Alors, grand-maman, dis-toi qu’il y a maintenant un Demers congolais, pure laine,  et qu’il sera surement quelqu’un de bien. Un Demers de plus, somme toute.

jeudi 4 décembre 2014

Les grandes messes



Pour les grandes messes (les grands messes comme on le dit plus souvent par chez nous), on se prépare à l’avance, on s’habille chic, on est «baigné, poudré» selon une expression haïtienne que j’aime bien. Une fois rendu, on regarde qui est là et aussi qui n’est pas là et on parade, plus attentif à se faire voir et entendre qu’à regarder et écouter.
J’en ai connu de ces grands messes dans ma vie. Je ne parle pas de celles de Noël, la grande suivie de deux petites auxquelles nous assistions vraiment à minuit, au tout début de la journée du 25 décembre. Je fais plutôt ici allusion aux grands messes professionnelles, à ces cérémonies ou ces rencontres obligatoires, où il faut être aujourd’hui comme il fallait être à l’église le dimanche dans les années cinquante. Depuis mes réceptions de prix jusqu’aux dîners de clôture de congrès internationaux en passant par les collations des grades ou les soirées de levée de fonds politiques ou charitables, j’ai dû en vivre un peu plus d’un demi-millier. Et cela c’est sans compter celles qui avaient davantage de sens, celles qui consistaient en grande activité de rapportage, comme ma soutenance de thèse ou les conférences à prononcer. De celles-là j’en vis encore, dont une la semaine dernière que j’ai organisée. Des autres, il y en a eu une toute récente, à laquelle je n’ai pas pu assister.
Quand on intervient en international le but du travail n’est pas de faire, ce qui serait bien souvent assez facile, mais d’amener les partenaires à faire. Le seul moyen en effet qu’une intervention soit durable c’est de la faire porter, puis maintenir, par les gens du milieu. C’est normalement vrai pour une intervention chez nous (mais trop souvent oublié) et c’est indispensable pour une intervention dans un pays en développement ou un pays émergent. Autrement dit, pour que l’intervention soit efficace, il faut donner le plus de mérite possible aux acteurs locaux et travailler sans que cela paraisse trop. Et pour cela il faut convaincre et faire en sorte que nos grands constats soient partagés et acceptés. D’où l’utilité d’une grand messe où plein de gens pourront venir écouter et échanger mais, aussi, parader.
C’est là le risque des grand messes. De la même manière qu’à la messe de minuit il y avait parfois plus de gens pour montrer leur linge que pour prier, nos grands messes peuvent se limiter à de la parade et à de la fanfare sans que personne n’y réfléchisse et en retire quelque chose. Je crois avoir réussi, pour ma grand messe ici à Brazzaville, à faire en sorte que chacun en sorte mieux équipé pour le travail et les changements à venir; cela demande de faire des concessions pour que chacun puisse montrer son linge tout en restant exigeant sur le fond de la démarche, un peu comme ces vieux curés qui n’avaient pas peur de rappeler à leurs ouailles le sens de la messe quand ils les voyaient trop frivoles. Alors que dans le cas de l’autre grand messe, celle où je n’ai pu aller, on peut se demander si le prêtre qui officie est même vraiment un prêtre quand on sait qu’il n’est jamais allé ni à messe ni à confesse toutes les années précédentes. Difficile alors de montrer autre chose que du beau linge.