mardi 30 juin 2015

Les rapports




C’est la fin du mois, alors il faut écrire un rapport, le rapport mensuel. Mais c’est aussi la fin du trimestre, lequel commande un rapport, le rapport trimestriel. Et puis je quitte bientôt, mon mandat achève, ce qui nécessite un rapport, le rapport final. Par ailleurs il y a eu deux activités et trois extrants de produits ce trimestre et cela demande des rapports, les rapports d’activité et les rapports d’extrant. Alors, quand vient le moment d’écrire mon texte pour la Voix de l’Est, curieusement, la seule idée qui me vient en tête c’et en rapport avec les rapports.
J’ai écrit des rapports toute ma vie. Des petits ou des gros, des insignifiants, aussitôt avalés par la machine à procédure et disparus dans des entrailles inexplorables, et des plus importants, parfois pour la bouche délicate d’une commission parlementaire ou pour le palais délicat d’un groupe de hauts fonctionnaires. Certains ont même leur numéro d’ISBN, sont donc officiellement édités, et devraient se retrouver dans le fond de la bibliothèque nationale où ils vivent leur vie étriquée de rapport conséquents mais oubliés.
Toutefois, c’est dans les projets internationaux que j’atteins des sommets. Ici le rapport est à ce point essentiel que leur écriture porte un nom; le rapporting. Quand vous examinez les Termes de Références d’un projet (l’une des expressions sacro-saintes de l’international), quand vous lisez un affichage de poste, vous verrez chaque fois, pour le chef de projet, des activités de rapporting. Et, en effet, on rapporte!
Soixante ans que des intervenants de tous les pays riches écrivent des rapports sur leurs activités d’appuis à des pays pauvres. En empilant ces rapports les uns sur les autres on est certainement capable de grimper jusqu’à la lune. Et en alignant toutes leurs mots en une seule longue ligne on fait probablement tout le tracé de l’orbite terrestre autour du soleil. Cela n’a, malheureusement, pas changé grand-chose.
Je n’ai pas trop à me plaindre, cette fois, le bailleur européen qui finance le projet demande bien moins de rapports, et moins d’ajustements à ceux-ci, que ne le faisait l’ACDI quand j’étais en Haïti, surtout après le tremblement de terre. Et ce n’est pas tant le fait d’écrire des rapports qui me dérange, au contraire j’aime plutôt cela. Non, ce qui me perturbe c’est qu’on en en fasse si peu compte. Une fois le rapport écrit, une fois le rapport reçu, il ne semble y avoir aucune suite. Le rapport n’est vu que comme un moyen de rendre compte de manière statique, que comme une preuve justifiant des dépenses et des actions. Alors que les rapports ne prennent leur sens et leur valeur que quand ils sont accessibles, quand ils sont lus, et quand on se base sur eux pour faire autre choses, la fois suivante.
Et si on en lisait quelques-uns, de ces fameux rapports?

mardi 16 juin 2015

Les saisons



Le temps change. Les journées raccourcissent un peu, de manière si peu sensible qu’il est impossible de le percevoir sans montre. Même au cœur de l’hiver, quand on est en fait à quelques centaines de kilomètres à peine au sud de l’équateur, les saisons ne se démarquent pas par la longueur des jours. Pour ce qui est de la végétation, le changement n’est pas évident non plus. Ici, nulle période où tous les arbres changent de couleur, nul moment où toutes les feuilles ont disparus. Je ne retrouve pas, autour de moi, ce changement graduel qui nous fait passer du vert acidulé et un peu jaune des bourgeons à peine ouverts au vert profond et riche des feuilles matures qui s’étalent avant de se barbouiller de rouge, d’ocre et de jaune flamboyant. Et, bien sûr, ni mois couverts de blanc, ni saison des récoltes, chaque fruit, chaque légume, chaque céréale ayant son propre cycle, plusieurs fois dans l’année.
Pourtant le temps change. Voilà des mois que, jour après jour, la température avoisine les trente-cinq, sans parler de l’humidité. Le matin, mon épouse regarde dehors et s’exclame «Zut, il fait soleil». Comme hier, comme demain. À partir de onze heures le soleil s’affirme et l’ombre est à peu près inexistante, même près des édifices élevés; il faut être directement sous un arbre, sous un toit, pour bénéficier d’un répit. Même là, il n’y a par un souffle de vent. L’air est lourd, presque visqueux. Le linge nous colle au corps et nous en changeons, au retour à la maison, après avoir pris une douche. En dehors de brusque tempête de vent, sans une goutte de pluie, et en dehors de brusques et violentes pluies, sans une brise, le temps se répète et le soleil semble crucifier un ciel trop bleu, sans un nuage. Puis voilà, depuis une semaine, que le ciel est couvert d’une brume impalpable, que le soleil est caché, que les soirées sont plus fraiches, aux environs de vingt-cinq.
Car le temps change. La saison sèche commence, la saison des pluies est finie. Nous ne verrons plus le soleil pendant des mois, nous fermerons la clim et ouvrirons les fenêtres. Le sable et la poussière vont voltiger partout, s’infiltrer sans répit. Les odeurs vont persister, aucune ondée ne venant laver les relents d’urine le long des murs.
Alors le temps change. Mais bien peu à l’équateur.  Nous, nous partons. Ou plutôt nous revenons. Encore un mois et nous retrouverons les saisons, celles qui font que chaque jour est un peu imprévisible. Et nous recommencerons à écouter la météo.


Mais, partout, que les temps changent peu. Les mêmes politiques qui se discutent, les mêmes projets qui s’affrontent, les mêmes sottises à la base des mêmes tensions, les mêmes germes de guerres, les mêmes noms qui n’en finissent plus de tourner. Il serait grand temps de passer à une autre saison.