mardi 19 mai 2015

L’automobile



Pourquoi traiter de l’automobile alors que je suis en Afrique? N’y a-t-il pas sujets plus éloignés l’un de l’autre? Détrompez-vous.
Je pourrais d’abord vous dire que les autos sont les verroteries d’aujourd’hui. Autrefois l’explorateur, puis le colon, trainait avec lui des miroirs, des bijoux de verre, bref des petites choses brillantes et rares; il entrait en relation avec les décideurs, chefs de village, chefs de tribu ou roi élu en leur présentant en masse de tels objets. Aujourd’hui il n’y a pas un projet d’appui qui ne comprend pas au moins un véhicule, de préférence un 4x4. Les décideurs les exhibent de la même manière que leurs prédécesseurs, il y a trois cent ans, montraient leurs parures de verre.
Je pourrais ensuite vous entretenir de vos autos usagées qui se retrouvent ici en masse comme nos anciens autobus scolaires se retrouvent dans les Caraïbes. Tous les taxis sont des Toyota d’une quinzaine d’années, repeints en vert (à Brazzaville; ils sont bleus à Pointe-Noire, rouges à Owendo ou à Dolisie et changent ainsi de couleur selon la ville). Les rues sont envahies de vos anciens achats qui viennent finir leurs jours sous le soleil de l’équateur.
Je pourrais encore vous signaler les pénuries de carburant qui affecte régulièrement Brazzaville, capitale d’un pays producteur de pétrole. Les files interminables de voitures, dont quatre-vingt pourcent de taxis, encombrent les avenues à proximité des stations d’essence. Depuis janvier ce doit être la huitième période de pénurie environ.
Je vais plutôt vous parler des humains. En Haïti, dans une société parfois violente ou les gens sont volontiers méfiants les uns envers les autres, l’automobile crée une transformation surprenante; les conducteurs sont polis, se cèdent aimablement la route et n’utilisent leur klaxon que pour se dire des choses gentilles comme «Après vous mon cher». Le fait d’être au volant exalte toute la noblesse qui réside dans l’âme haïtienne. Mais, au Congo, c’est le contraire qui se produit. Les congolais sont affables, polis jusqu’à en être des fois pointilleux. Ici, les liens familiaux et sociaux sont extrêmement importants et on fait tout pour les préserver. Sauf en auto. Au volant le congolais ne connait plus ni frère ni mère, ni calme ni politesse. Lui, si volontiers en retard à tous ses rendez-vous, est pris d’une folie de vitesse et d’impatience. Il klaxonne avec méchanceté, pas seulement pour passer mais pour critiquer, réprimander, agresser. Il accélère au mépris de la vie des piétons, de ses passagers, de la sienne propre. Conduire le rend fou, au point que je soupçonne qu’un fétiche en forme d’automobile ensanglantée est enterré quelque part, pour jeter un sort funeste aux automobilistes congolais. Fétiche ou pas, le résultat est là; la route tue et estropie de plus en plus de congolais et est devenu, en quelques années, un problème majeur de santé publique. Comme quoi, notre relation avec ces drôles de machines a souvent un aspect tordu, faisant ressortir parfois notre orgueil, parfois nos rancœurs et bien rarement, malheureusement, notre amabilité.


vendredi 8 mai 2015

Lettre ouverte à Omar Khadr



Lettre ouverte à Omar Khadr[1]
Omar, tu me permettras de t’appeler Omar car je pourrais être ton père, je te présente mes excuses. Pas seulement les miennes d’ailleurs, celles de tous les canadiens, qu’ils le veuillent ou non. Le gouvernement canadien t’as non seulement abandonné mais a participé à ta condamnation et s’entête encore à vouloir la faire appliquer jusqu’au bout alors même qu’elle est immorale selon le droit canadien, selon le droit américain et selon le droit international; il a fallu un tour de passe-passe du droit militaire américain pour justifier le mal qui t’as été fait. Notre gouvernement, que nous avons élu, est responsable et nous sommes donc responsables. Car notre vote les a mis au pouvoir, même en votant contre eux ou en nous abstenant de voter, et nous sommes coupables avec eux.
Excuse-moi. Excuse-nous.
Tu as maintenant presque le droit d’être libre, avec un bracelet électronique sur le corps, avec les services de renseignement sur le dos et avec les conservateurs à tes trousses. Mais aussi avec des centaines de milliers de gens qui appuient ta cause depuis le début. Va les voir. Va leur parler. Écris. Raconte. Raconte-nous ce qu’est d’être blessé dans une guerre qui nous est imposée par des gens qui sont censés nous aimer. Raconte-nous ce que c’est que d’être arrêté et mis au secret alors que l’on a quinze ans. Raconte-nous ce que c’est que les interrogatoires interminables que l’on doit subir. Raconte-nous une adolescence derrière les barreaux plutôt que devant les filles, la télé et les profs ennuyeux (dans cet ordre!). Raconte-nous ce que c’est que d’être enfoncé par le gouvernement qui devrait nous aider, qui devrait croire au Canada et en ses citoyens.
Tu as une histoire dans la tête. Cela pourrait être une histoire de haine, de rancune et de colère. Mais cela peut aussi être une histoire d’ouverture, d’exemplarité, de valeurs humaines. Fais éclater cette histoire-là. Montre à tous que l’on peut grandir droit dans les conditions les plus difficiles. Humilie ceux qui t’ont humilié en racontant ton histoire.
Aide nous à devenir meilleurs. Explique-nous. Réfléchis à ce qui est le plus important, à la manière de le dire et raconte-le-nous. Prend la route et la parole Omar. Nous avons besoin d'entendre ta vérité.



[1] Omar Khadr est un jeune canadien de Toronto embarqué pas sa famille en Afghanistan alors qu’il était mineur. Enfant soldat il y sera arrêté par les forces états-uniennes et détenu à Guantanamo. Le gouvernement canadien, loin de l’aider, a appuyé la parodie de justice qui lui fut appliquée par les tribunaux militaires des USA. Il vient enfin d’obtenir, malgré l’opposition du gouvernement ultra conservateur de Stephen Harper, sa libération conditionnelle. Il a passé près de la moitié de sa jeune vie dans des prisons de haute sécurité.

mardi 5 mai 2015

Corruption- suite et fin (enfin, diront certains)



Les citoyens ne se sentent pas toujours interpellés par la corruption. Après tout, pensent-ils, cela se joue entre bandits et ne les concerne pas directement eux. Le corrupteur paie le corrompu, en argent ou autrement, pour pouvoir faire quelque chose d’interdit. Comme bon citoyen je ne veux rien faire d’illicite, ou même d’incorrect, alors pourquoi me sentirais-je concerné?
En fait, la corruption ne porte pas que sur les actions interdites. Elle porte même le plus souvent sur des actions parfaitement permises. C’est en cela qu’elle est grave et qu’elle atteint tout le monde. Elle fausse le jeu et crée des classes différentes de citoyens, ceux qui respectent les règles et peuvent obtenir lentement et difficilement quelque chose et ceux qui respectent toutes les règles sauf une et qui obtiennent ainsi facilement et rapidement ce qu’ils veulent obtenir.
Répondre à un appel d’offres et l’emporter est évidemment parfaitement légal. Ce système est en place pour garantir l’équité de traitement entre les personnes, morales ou physiques, qui veulent obtenir le contrat. Nous nous situons, en théorie, dans une méritocratie où le plus capable est sélectionné. La corruption consiste à favoriser l’un des candidats selon d’autres critères que son mérite. Cela peut se faire par un versement d’argent, mais aussi par des cadeaux, des promesses de retour d’ascenseur, même par des menaces de rétorsion si le candidat voulu ne l’emporte pas.
Ce qui est vrai pour un appel d’offres est vrai pour une multitude de choses, en fait pour toutes les démarches administratives depuis l’obtention du permis de conduire jusqu’au fait de gagner un procès ou d’avoir enfin un rendez-vous avec un médecin spécialiste. Dès que vous avez une personne en situation de trancher en faveur ou en défaveur d’un citoyen vous avez une possibilité de corruption. Comme nos sociétés se complexifient, les démarches administratives sont de plus en plus nombreuses et les possibilités de corruption le sont aussi. Or, loin de simplifier les choses nous ajoutons règlements sur règlements, notamment des règlements sur la lutte à la corruption. Plus le système est complexe, plus il est difficile et long d’obtenir quelque chose de légal, plus il est tentant, parfois même indispensable, de l’obtenir en payant.
Un citoyen ordinaire se trouve aujourd’hui à devoir payer un comptable pour son impôt, un avocat pour la moindre petite cause, un ingénieur pour revoir sa fosse septique, un technicien en bâtiment pour demander un permis de rénovation, etc. Tant qu’à dépenser autant d’argent il est tentant de payer pour être assuré du succès de sa démarche. C’est ainsi que naissent les circuits de corruption dans lesquels, de connaissances en connaissances, on fait circuler les bons contacts, les cadeaux, les politesses. Du réseautage, conseillé dans toutes les écoles de gestion, à la corruption, vertueusement dénoncée dans toutes les écoles de gestion, la marge est souvent mince (les terrains de golf du monde entier peuvent en témoigner). En tous les cas, le réseautage nous sort certainement de la méritocratie et instaure une nouvelle forme de népotisme.
Les meilleurs moyens de lutter contre la corruption ne se trouvent pas dans les lois ou dans les règlements. Ils sont dans la simplification et dans la transparence des procédures pour qu’elles soient accessibles à tous. Bref, dans le contraire de ce que la majorité de nos gestionnaires publics, élus ou non élus mais toujours si bien ressautés, s’obstinent à faire.