mercredi 16 juin 2010

Port-au-Prince: Reconstruire à tout prix

Il habite sous une tente depuis la mi février, avec sa femme et sa mère. Il y a de l’eau courante et des toilettes dans son campement, ce qui fait de lui, à certains égards, un privilégié. Deux fois privilégié en fait puisqu’il dispose d’une tente après n’avoir passé que quatre semaines sous une bâche avec des panneaux de carton, pour avoir un peu d’intimité.

Plus encore, il a un emploi, un bon emploi bien payé dans un projet international ; il gagne presque 6000$ par année, soit cinq fois plus qu’un employé au salaire minimum. Mieux encore, son employeur lui a versé une aide spéciale de 1000$ pour qu’il puise dégager son terrain couvert des débris de ciment de son ancienne maison puis commencer à se reconstruire.

Il se construit une maison de trois pièces, de 9 mètres par 9 mètres pour un total intérieur de 80 mètres carrés soit environ 720 pieds carrés. Il n’aura ni l’eau ni l’électricité dans la maison, bien sur, mais tout de même une toilette extérieure et une prise d’eau pour faire la cuisine. La structure de ciment, poteaux, blocs et dalles, va demeurer visible, non pas par souci d’esthétique moderniste mais bien parce que passer un stuc de finition sur les surfaces couterait trop cher. On ne parle évidemment pas de peinture.

Bref il va disposer, vers la mi-juillet, d’un espace de bêton gris, avec des ouvertures grillagées et une porte en métal. Un espace qui lui permettra d’être au sec et en sécurité avec sa famille. Un espace qui pourra recevoir des lits, une table, des chaises. Un espace où il réussira à faire un branchement électrique direct sur les fils de l’EDH (électricité d’Haïti) pour pourvoir brancher une télé. Autour, dans sa petite cours, il aura une toilette et la place pour un réchaud au bois sur lequel sa femme fera la cuisine. Un espace dont vous ne voudriez probablement pas mais qui, pour lui, est sa nouvelle maison, une maison dont il est déjà fier et où il espère suivre le dernier match du mondial de soccer, le 11 juillet prochain.

Il a pris soin de bien construire, avec beaucoup de métal dans le béton, pour que la maison ne s’écrase pas la prochaine fois. Remarquez, le 12 janvier sa maison n’est pas tombée ; c’est l’immeuble d’à côté qui s’est écroulé dessus et qui l’a brisée. Contre ça il ne peut rien, seulement espérer que le voisin fera comme lui, construire solidement.

Cette nouvelle maison lui coûte cher. En plus du 1000$ qu’il a reçu de son employeur, du 1000$ qu’il avait économisé, il a du emprunter 50 000 gourdes ce qui équivaut à 1 400$ ; au total sa maison lui coûte sept mois de salaire, sans compter le terrain qui lui appartient déjà. Il a réussi à emprunter parce qu’il a un bon emploi, cinq fois supérieur au salaire minimum. Même là ce n’est pas la banque qui lui prête, c’est le réseau informel, les commerçants locaux.

Le séisme est une catastrophe pour la grande majorité mais une source de richesse pour les riches. Alors il a trouvé un prêteur qui lui a avancé 1 400$ … à un taux de 25%, garanti sur la maison.

J’ai parfois l’impression que nous pourrions être plus utiles que nous ne sommes.

vendredi 11 juin 2010

La parole donnée

Samedi je me suis évadé de Port-au-Prince pour passer une journée à la mer, loin du bruit et de la poussière de la ville, dans un lieu où on peut marcher sans courir le risque d’une agression. J’avais téléphoné la veille pour réserver une chambre et négocier son prix. Arrivé sur place, la réceptionniste respectait le prix, mais pas la chambre ! Bref, j’ai payé une chambre ordinaire, crottes de souris comprises, au prix d’une chambre de luxe avec accès direct à la mer.

Lundi, je devais dire quelques mots lors d’une cérémonie inaugurale avec le ministre de l’Intérieur, la directrice de la protection civile, le vice recteur de l’Université d’État, bref plein de gens sérieux. Ma secrétaire avait réservé pour moi un chambre à proximité car la cérémonie allait se terminer après le coucher du soleil et que les consignes de sécurité font que nous ne devons pas rouler hors de la ville la nuit. À l’hôtel, surprise, on respectait la chambre mais pas le prix ! On me demandait environ 20% de plus (20% de plus de votre argent ; je dirige un projet financé par la coopération canadienne).

Depuis le séisme beaucoup de fournisseurs ici augmentent leur profit. Les hôteliers suivent le mouvement, les chambres étant plus rares car plusieurs hôtels se sont effondrés.
Et ces fournisseurs, pour avoir votre clientèle, n’hésitent pas à vous mentir. Une fois que vous êtes coincés, que vous ne pouvez plus changer d’avis, ils violent leur parole et vous demande plus ou vous donne moins.
Le phénomène est largement répandu aujourd’hui en Haïti. C’est sans doute ce qui explique que personne ne semble plus faire confiance à personne. A force de mensonges, de paroles et d’engagements non respectés, on a rompu le lien de confiance. Ici, on n’achète plus une maison; même signée devant un notaire la transaction peut être fausse et vous achetez en fait une maison qui n’appartient pas au vendeur. Alors on n’investit plus, on ne croit plus, on ne s’associe plus.

Toute société se base sur les relations entre les groupes et entre les personnes. Et toute relation se fonde sur la confiance. Quand celle-ci est ébranlée, elle l’est pour toujours. Quoique l’on fasse, si on a triché une fois, l’autre se méfiera au moins un peu dans l’avenir.
Il nous arrive à tous de tricher. Mais il est essentiel que nous tenions parole. Quand on prend un engagement (même celui d’écrire un article pour le lendemain !) on le respecte. Que ce soit comme parent, comme vendeur, comme gestionnaire, comme professionnel, le bon état de notre société dépend de chacun de nous et de notre volonté de respecter nos engagements. Quand un fraudeur comme Vincent Lacroix vole des épargnants il ne fait pas que les voler ; il détruit leur confiance et celle de milliers d’autres personnes qui planifient leur retraite. Il faut donc, pour compenser les ravages commis par un seul fraudeur, des milliers de personnes honnêtes. C’est vous, dans vos actions de tous les jours, qui faites que notre société existe, se tient et prospère. C’est la somme de vos consciences individuelles qui font que les titres de propriété, l’argent, le travail, la famille, gardent leur sens et leur valeur. Sans vos conscience, sans votre respect de la parole donnée, rien n’est possible pour les humains.
Surtout,il faut que ceux et celles qui nous représentent respectent leur parole, suivent leur engagement. Nous avons tous le droit à l’erreur, nous avons tous des comportements privés qui peuvent être ridicules ou discutables. Mais nos particularités et nos faiblesses ne doivent pas porter sur la parole donnée. Car alors il ne s’agit plus seulement de mensonge ou de tricherie, il s’agit de la rupture du lien fondamental qui nous uni les uns aux autres ; la confiance.

vendredi 4 juin 2010

Entre angélisme et cynisme (2)

Il semble que les électeurs canadiens soient cyniques. Désabusés, ne croyant plus à la bonne foi des politiciens, ils ne s’intéresseraient plus à la politique. Et on parle de cynisme.
Ce n’est pas cela le cynisme. Regardez dans votre dictionnaire, à défaut d’en avoir encore des exemples suffisants dans la vie quotidienne. Le cynisme c’est la capacité de se détacher des choses, de les regarder avec une distance qui nous les rend plus objectives, de ne pas suivre les sentiers obligatoires de la morale établie. C’est aussi la capacité de s’en moquer car l’ironie et l’humour demeurent des armes efficaces pour changer les choses.

De même que la colère peut être une vertu quand elle est refus d’un ordre établi inacceptable, le cynisme est un courage ; celui de dénoncer, s’il le faut par le ridicule, ce qui doit être dénoncé.

On ne pratique plus le cynisme de même que l’on ne pratique plus l’argumentation. Tout se vaut et, au nom du vivre ensemble, on perd le sens du mot vivre. Je ne demande pas que l’on meurt pour ses idées mais au moins que l’on vive pour elles. Je m’inquiète d’une société à ce point tiède qu’elle ne s’excite plus sur autre chose que des choses. On consomme, on parle de notre consommation, qu’il s’agisse des émissions de télé, des matchs sportifs, de notre récent frigo ou de notre nouvelle auto. Mais quand parle-t-on d’idée, quand parle-t-on de valeur ?

Bien sur, si je vous parle de mes idées, comme je le fais d’ailleurs depuis plusieurs mois, vous ne serez pas toujours d’accord. Mais pourquoi faudrait-il l’être ? Au contraire, c’est par la confrontation des idées, par l’écoute des arguments des autres, par la discussion ouverte et souvent passionnée que le progrès est possible.
Le Cégep de Granby Haute Yamaska a connu un essor non négligeable pendant que j’en étais le directeur général. Cela a été possible parce que nous avions une équipe de direction qui jouait le jeu totalement à chacune de ses réunions. Nous n’avions pas peur de nous contredire, de reprendre les arguments de l’autre pour les attaquer, de développer les nôtres. Après, quand nous avions pris une décision, nous savions qu’elle était solide et nous pouvions nous y tenir. La solidarité est possible quand elle se base sur une vraie possibilité d’échange.

La discussion est essentielle et pour qu’elle se tienne il faut admettre au départ que toutes les idées, que toutes les opinions ne sont pas aussi bonnes les unes que les autres. Il faut admettre que l’on doit défendre ses idées et qu’il faut travailler à convaincre les autres tout en restant à l’écoute de leurs propres arguments, lesquels peuvent nous faire changer d’avis, nous. Il faut se donner des lieux d’échanges, d’écoute et de discussions.

J’aime la politique car elle est l’une des activités essentielles de notre démocratie. Je souhaite qu’elle soit un objet de conversation, de discussions, de tensions dans la recherche des meilleures solutions. Or il est clair qu’actuellement, ni l’Assemblée nationale ni la Chambre des communes ne sont de tels lieux. Pour sa part, le premier ministre du Canada fuit tellement la discussion qu’il suspend le parlement, empêche ses employés politiques de témoigner, fuit les points de presse ouverts et enferme la participation citoyenne dans un carcan.
Alors les électeurs sont désabusés. Ils ne s’intéressent pas à la politique. Moi, je les voudrais, je vous voudrais, vraiment cyniques, vraiment critiques, vraiment fâchés.

C’est ce que je nous souhaite pour la prochaine élection.

mardi 1 juin 2010

Entre angélisme et cynisme (1)

Nous vivons dans une société policée. Peut-être trop à bien y penser. Nous n’élevons plus la voix, nous fuyons les discussions, nous acceptons toutes les opinions.
À l’école on apprend aux enfants à se respecter les uns les autres et à respecter leurs différences. Voilà qui est très bien ; en effet, comment ne pas respecter les caractéristiques d’une personne ? Je suis né avec tel sexe, tel visage, tel couleur de peau. Je suis élevé dans telle croyance et dans telle habitude, Qu’y puis-je ? La société doit donc apprendre à chacun le respect de ces caractéristiques. Du moins, c’est ce qu’il est normal de dire aujourd’hui, chez nous. Pourtant il y a déjà là un premier glissement possible. Je ne peux rien changer à mes capacités innées mais l’éducation que je reçois pourrait être critiquée et mérite peut-être de l’être ; je peux être mal élevé, me montrer grossier, ne pas connaître les usages de notre société. Devrait-on respecter le comportement d’un enfant qui recrache sa morve par son nez sous prétexte que son grand père le fait dans son pays d’origine ? Ou qui met ses pieds sur la table ?
Où commence ce qui n’a pas à être respecté ? À partir de quel point puis-je mettre en question les comportements de l’autre ? Je ne suis pas sur que l’école traite de ça. Se contente-t-elle, terrifiée à l’idée d’une plainte devant la commission des droits de la personne, d’affirmer que tout doit être respecté ? Pourtant bien des comportements ne sont pas respectables.

Et puis, les opinions peuvent être sottes. Depuis quand affirme-t-on qu’elles se valent toutes ? Je veux bien que le vote de chacun ait le même poids puisque c’est un des fondements de notre modèle démocratique. Mais je refuse absolument que les opinions aient toutes le même poids. Une imbécillité mal argumentée, fondée sur la simple affirmation d’une autorité quelconque demeure une imbécillité. Qu’il soit impoli de déclarer que c’est une sottise, d’accord. Mais il doit demeurer permis de dire que c’est une opinion pauvre, inintéressante, appuyée sur le vide. Ainsi les thèses créationnistes, basées sur une lecture étroite des textes religieux et en contradiction avec tous les faits scientifiques, sont de pauvres thèses, des opinions défaillantes. Il est dangereux qu’une société pratique l’angélisme et la bonne conscience au point de ne plus le dire.

Quand Chapleau prend la couette de Rael dans sa main, lors de Tout le monde en parle, il pose un geste profondément impoli, à la limite de la violence. Mais il pose aussi un geste libérateur, affirmant que l’on a pas à respecter toutes les opinions et tous ceux qui les professent. L’opinion selon laquelle les extraterrestres nous visitent régulièrement est faible. Imaginez : Ils viendrait régulièrement nous visiter et n’auraient jamais laissé le moindre pipi, le moindre mouchoir sale, le moindre poil ou la moindre écaille ? On retrace un assassin avec une trace de lèvre sur une verre et on ne retracerait pas les extraterrestres ? Que la vie existe ailleurs c’est très probable ; qu’elle soit intelligente, capable de se déplacer et choisisse de nous visiter, voilà qui l’est beaucoup moins.
Les comportements et les opinions ne sont pas tous d’égale valeur et ne sont pas tous respectables. Il serait peut-être temps de recommencer à le dire. Quand une opinion se fonde sur des inexactitudes ou des faussetés, il faut le signaler et tenter de faire changer l’opinion de l’autre.
Mais on ne discute plus. En famille on ne parle pas de politique et chacun campe sur ses positions, refusant d’avance toute discussion et toute argumentation. Pire, le fait de discuter et de contredire est maintenant vu comme une impolitesse, quand ce n’est pas vu comme une agression ! On ne discute plus dans la rue, chez soi, au travail. L’angélisme règne et, au nom de la bonne entente, on sacrifie la vie intellectuelle, la réflexion, l’échange et le progrès.

L’enfer est pavé de bonnes intentions.