La corruption, nous l’avons vu,
ne limite pas ses dégâts à une perte d’argent, loin de là. Elle donne un
sentiment d’iniquité, elle démobilise le travailleur honnête, elle fait perdre
le respect des organisations et des instances qui sont censées réguler notre
bien commun. La corruption, en effet, ne peut exister que lorsque le silence,
complice ou lâche, est assez généralisé dans les organisations pour la laisser
exister. La découverte d’un cas de corruption ébranle donc la confiance des citoyens
face à toute l’organisation, chacun sachant que le corrompu ne peut pas avoir
agi sans la complaisance de ses collègues. Le pire, c’est quand le premier
responsable de l’organisation nie toute responsabilité en disant n’avoir jamais
été au courant; la nature même de son travail est pourtant d’être au courant de
tout dans son organisation et de s’assurer que celle-ci fonctionne bien.
Lorsque cela se produit, lorsque l’organisation et ses responsables poursuivent
impunément leur carrière après avoir éliminé un ou deux éléments à qui on fait
porter toute la faute, le public n’est pas dupe, il devient simplement amer et
critique.
Actuellement on en est à
l’adoption massive, dans le privé comme dans le public, de code de déontologie
et de politique de transparence. Malheureusement, dans bien des cas, il ne
s’agit là que de moyens pour protéger les patrons qui pourront s’aveugler
volontairement puis prétendre, si leur organisation se retrouve avec un cas de
corruption, dire qu’ils avaient pris des mesures pour l’éviter. C’est là une
attitude aussi ridicule que celle d’un État qui adopterait des lois mais
n’aurait aucune police pour les faire respecter. La règle ou la loi n’a jamais
empêché les criminels d’agir. C’est l’application, le suivi, et surtout leur respect exemplaire par les autorités
elles-mêmes, qui font que les règles et les lois prennent du sens. Vous aurez
beau imposer des formations à l’éthique à tous les élus municipaux, et jeter
ainsi l’argent par les fenêtres, vous ne formerez pas ceux d’entre eux qui ont
une âme de bandit à devenir honnêtes! La vraie lutte à la corruption doit être
permanente et consister, d’abord, dans l’appui inconditionnel de la société à
ceux et celles qui refusent de s’aveugler.
Nous en sommes bien loin. Quand
quelqu’un tente de signaler une situation de corruption il est le plus souvent
perçu, et traiter, comme un trouble-fête pour ne pas dire un fauteur de
troubles. C’est lui qui est considéré comme une menace à l’organisation, comme
une cause possible de scandale. Tant que la corruption est cachée elle est
tolérable, dirait-on. C’est comme si l’inceste ou la violence familiale étaient
acceptables quand ils sont cachés, que l’objet de scandale ne soit pas l’abuseur
mais l’abusé. Cela a été malheureusement vrai. Combien d’abus sexuels ont été
ainsi cachés, au sein d’une communauté religieuse, d’un village ou d’une
famille? Là aussi on a préféré regarder ailleurs, pendant des siècles. Ce n’est
que lorsqu’on libère la victime du poids de l’accusation que l’on commence à réduire
de tels crimes.
Il est grand temps que l’on
libère les témoins de la corruption de leur statut de messagers, sur lesquels on
s’obstine encore à tirer.