mardi 20 mai 2014

La société gnangnan

On se plaint parfois, je dirais même souvent, de vivre dans une société violente. Dans les faits, il n'en est rien. Le taux d'homicides est très bas à travers tout le Canada, en particulier au Québec. Les crimes contre la personne sont aussi très peu nombreux et les diverses formes de violences discriminatoires, envers quelque groupe que ce soit, systématiquement dénoncées. Nous travaillons même en amont, à contrôler la violence verbale, les propos haineux, le harcèlement au travail  et l’intimidation à l'école. Tout cela est excellent et tout cela contribue à faire une société plus agréable pour tous. Ceci dit, nous semblons aussi prendre en grippe toute forme d'opposition, toute forme de contestation. J'entendais la semaine dernière le président de Radio-Canada parler des coupures qui affectaient son organisation; en trente minutes d'entrevue il a dit environ 2500 fois qu'il fallait avoir des «conversations» nationales à ce sujet, qu'il fallait que les citoyens aient des «conversations» avec leurs députés, que des «conversations» devaient être tenues dans les divers milieux. Ce terme de «conversation » est de plus en plus utilisé. On n'a plus de discussion, on a des conversations, Je regrette, mais une conversation c'est ce que mes tantes de Québec ont fait avec brio tout au long de leur vie quand elles recevaient; cela consiste à tenir des propos variés, jamais vexant et jamais menaçant, dont le seul but est d'occuper le temps. Pour avancer et échanger des idées, pour ébranler des convictions, pour changer des chose, il faut avoir des discussions, il faut pouvoir dire notre désaccord, affirmer notre dissidence, proposer d'autres avenues. Or, ce travail de confrontation intellectuelle me parait de plus en plus évité partout, même au travail. Je connais des fonctionnaires fédéraux qui ont ainsi de belles «conversations» où personne n'exprime de désaccord et où on en arrive toujours à un consensus mou. Je ne pense pas, quant à moi, qu'un mauvais consensus l'emporte sur une bonne discussion et je m’inquiète d'une société qui n'est plus capable de s'emporter, de s’enthousiasmer ou de se scandaliser, sauf quand c'est avec la majorité, bien prudemment, en se cachant dans le plus grand nombre. Le monde évolue par le changement et le changement est généré par des situations nouvelles, des idées nouvelles, des individus différents. Bref, méfions-nous de la société gnangnan où toute opinion est valable et respectable et il où il ne faut plus rien dénoncer ou proposer de différent pour ne pas faire de la peine à quelqu'un.