mercredi 28 janvier 2015

Le défétichage 2




Notre propriétaire a fait venir deux déféticheurs, un peu sous la pression des employés de maison et de certains habitués de la cour. Lui-même n’y croit pas, il est congolais mais de parents français et vietnamiens (oui, son histoire mérite aussi d’être racontée et elle le sera). Il sait cependant que l’inquiétude ne s’apaisera pas sans un cérémonial, sans une preuve que les mauvais sorts qui nous étaient destinés ont été annulés. Il a donc contacté la paroisse catholique et la congrégation évangélique (on fait dans l’œcuménique) et s’est fait envoyer deux déféticheurs selon le bon vieux principe «que trop fort casse pas».  Et selon le principe qu’a toujours utilisé l’église catholique selon lequel, si tu ne peux pas éliminer des croyances locales, tu les intègre dans ta pratique.
Les déféticheurs sont arrivés. Un homme et une femme. Nous nous attendions un peu à ce qu’ils se déplacent sur le terrain, à l’image de sourciers qui, à l’aide d’une baguette double, «sentent» les vibrations de l’eau dans tel ou tel secteur. Bien non. L’approche est tout autre. Pour trouver et traiter les mauvais fétiches il leur faut un trou, un grand trou, assez grand pour que l’homme puisse y entrer accroupi et se retrouver totalement sous le niveau du sol.
Voilà donc François, le garçon de cour, qui creuse un trou pendant que la femme prie en balançant le haut du corps et que l’homme attend paisiblement en faisant la conversation avec un peu tout le monde.
Puis l’homme se déshabille, ne conservant que son short, entre dans le trou et s’y blottit sous une planche. Nous nous tenons tout autour, la femme priant de plus en plus fort et invoquant Jésus à grands cris. Après quelques minutes, l’homme est pris de transes et s’agite fortement tirant à lui, à travers le sol, divers objets qui s’accumulent au fond du trou. Il finit par sortir, essoufflé, et se rince à l’eau courante. Il nous montre les fétiches qu’il a fait venir à lui, à travers le sol, utilisant en fait le même vieux truc que les guérisseurs philippins qui prétendaient opérer des cancers à mains nues. Il ouvre les fétiches, défait les nœuds destinés à bloquer nos décisions et nos actions, montre les graines et les restes inidentifiables qui avaient été placés là pour nous nuire. Des graines qui n’ont curieusement pas pourri malgré leur supposé long séjour en terre, du sang étonnamment rouge qui doit plus à la peinture qu’à l’hémoglobine.
Mais les gens de la cour ont participé, ils ont une explication et une solution qui leur sont proposées, c’est de la bonne gestion, de celle qui apaise les tensions et calme les esprits. On éduquera plus tard, une fois les défticheurs partis et les âmes apaisées.

mardi 13 janvier 2015

Le défétichage




Tout le monde a entendu parler du vaudou, des sorciers, des fétiches. En Haïti, alors que j’y étais en poste, le vaudou était omniprésent, pour le bien comme pour le mal, pour se protéger comme pour nuire. Il en va de même ici avec les fétiches qui peuvent être destinés à protéger leur porteur des serpents ou, au contraire, à le maudire et à attirer sur lui les serpents. Certains fétiches, dans certaines régions d’Afrique, sont en eux-mêmes des malédictions car ils exigent des ingrédients humains pour être confectionnés; des enfants disparaissent pour que des riches qui roulent en Mercedes puissent porter un fétiche* comportant des os d’enfant censé leur éviter des accidents de la route; la modernité, quand elle n’est que technique, peut ainsi se mêler à ce qu’il y a de plus primitif dans l’âme humaine.
La parcelle où nous habitons est très africaine dans son mode de vie. Nous n’avons pas une villa isolée comme d’autres expatriés. Notre appartement donne sur un espace commun, partagé par notre propriétaire, un avocat, une famille, un autre expatrié, les employés de maison et une multitude de visiteurs et de familiers qui circulent un peu toute la journée et tard en soirée. Il y a aussi deux tortues, deux canards, neufs chiens et un chat officiel (il y a un autre chat qui hante les toits mais qui ne participe pas à la vie de la cour). La parcelle est protégée par un fétiche enfoui quelque part. Mais, voici qu’un des chiens, en creusant au pied d’un arbre, a sorti de sous une racine un fétiche inconnu. La cour est en ébullition, tous examinent le fétiche. C’est un fétiche mauvais, un qui vise à nouer, à bloquer, à empêcher; celui qui l’a enterré en cachette veut empêcher quelqu’un de décider et d’agir, veut pouvoir mener les choses à sa guise en rendant impuissant les habitants de la parcelle.
Se posent alors deux questions : Qui a placé là ce fétiche? Comment s’assurer qu’il n’y a pas d’autres objets inconnus cachés dans le but de nous nuire? Pour le qui, ce sont les employés de maison et le propriétaire qui avancent des hypothèses, lesquelles seront corroborées par l’absence continue d’un ancien familier qui ne se montre plus. Voilà qui est bien mais qui ne règle pas tout. Si d’autres fétiches sont présents la menace perdure. Une seule solution, il faut faire déféticher la parcelle.
C’est logique. Puisqu’il y a des fétiches malfaisants il y a forcément des déféticheurs, de la même manière qu’il y a des contre missiles pour répondre aux missiles. Il y a aussi, selon la même logique, des fétiches malfaisants pour défaire l’effet des fétiches bienfaisants, comme il y a des espions pour empêcher les contre missiles d’intervenir. Bref, on trouve de tout dans la pharmacie des sorciers africains.
Nous avons donc fait déféticher la parcelle. Mais il ne me reste plus de mots pour vous en parler aujourd’hui. L’expérience à elle seule mérite un article. Ce sera donc mon prochain.
*Un fétiche n’a pas forcément l’apparence d’une petite statue comme on le pense souvent. Ce peut être du tissu attaché autour de graines, d’os, de viscères. Ou une bouteille, ou même un sac de plastique. Ce qui compte c’est l’aspect mystérieux de la chose.

jeudi 8 janvier 2015

Charlie

Tous à nos crayons!
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Ce qu'il y a de bien avec les cons c'est qu'on peut compter sur eux; pour faire des conneries.
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Une image vaut mille morts.
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vendredi 2 janvier 2015

La bénédiction




Chaque année mon père, à la demande de mon frère ainé, nous réunissait dans une pièce plus tranquille, durant la grande fête de famille, pour nous donner sa bénédiction annuelle. Les dernières années où la coutume a tenue il fallait que ma mère insiste pour que mon frère se décide, en trainant les pieds, à aller voir mon père. Je devais avoir une dizaine d’années quand la pratique s’est éteinte dans ma famille, comme elle l’avait déjà fait dans la grande majorité des familles de chez nous. De cette grande tradition patriarcale, qui rappelait qu’alors c’était le père qui assumait la direction matérielle et morale de la famille, il ne reste aujourd’hui que des représentations picturales, gravures ou peintures, où nous voyons un père en ceinture fléchée, la pipe tout juste déposée sur un meuble, bénir une nombreuse descendance agenouillée devant lui.
Mon père ne fumait pas, portait le veston et la cravate et nous étions trois fils. Avec ma mère nous étions donc quatre à recevoir cette bénédiction solennelle et annuelle par laquelle mon père attirait sur nous la bienveillance divine pour nous aider à avoir une bonne année, aussi bien dans notre conduite que dans nos résultats.
Aujourd’hui mon père est décédé, je suis père depuis longtemps et je n’ai jamais, en ceinture fléchée ou en veston cravate, fait descendre la grâce divine sur la tête de mes enfants. Cette façon de servir d’intermédiaire entre le ciel et la famille n’existe plus. Ce qui demeure, cependant, est l’habitude de s’offrir des vœux pour l’année qui vient au sein de la famille mais aussi entre amis, connaissances, relations d’affaires. Nous en recevons sur des cartes de papier, dans des messages électroniques, dans des envois sonores ou visuels. Il y en a de tous les genres, du comique au formel, du chaleureux au commercial.
Pour ma part je vous souhaite de recevoir de vrais vœux d’au moins une personne, si possible de tous ceux qui vous sont vraiment proches. Je vous souhaite des vœux sincères, sérieux, réfléchis, attirant sur vous toute la grâce de l’amour et de l’amitié, bref des vœux aussi fort que l’était, dans son cœur, la bénédiction de mon père à sa famille.
Bonne année.