Ma grand-mère Demers était une
femme adorable. En fait, toutes les femmes Demers, de ma famille de Québec,
étaient ou sont des femmes adorables, spécialement celles que nous désignons
depuis toujours comme «les tantes de Québec». Leur plus grand et leur plus
simple mérite c’est d’être des gens foncièrement bons. Ce n’est pas si facile
et ce n’est pas si courant.
Au tout début des années
soixante-dix je suis allé passer quelque jours chez ma grand-mère avec un ami
rwandais. En fait, je lui faisais surtout visiter la ville. Nous couchions, et
nous mangions, dans ma famille, nos revenus d’étudiants étant ce qu’ils
étaient. Les africains étaient alors pour le moins rares dans la vielle
capitale et mon ami était le premier noir que ma grand-mère rencontrait «dans
la vraie vie». Elle nous a reçus avec sa gentillesse habituelle, ne s’étonnant
en apparence ni de la couleur de la peau ni du gigantisme de mon collègue
(quand les rwandais décident d’être grands, ils ne font pas les choses à moitié).
Ce n’est que plus tard, en parlant à ma mère au téléphone, qu’elle a laissé
échapper un «il est bien l’ami de Bernard, même s’il est noir». Et ce n’était
pas du racisme, bien au contraire, mais l’expression un peu étonnée que,
finalement, on est pas mal tous pareils en autant qu’on soit quelqu’un de bien.
Ici, à Brazzaville, je suis la
minorité visible, presque aussi rare que mon copain à Québec il y a plus de
quarante ans. Parfois on m’appelle «le blanc» et ce n’est pas davantage
raciste, ce n’est qu’un constat. Bien sûr, il arrive parfois que le ton de la
voix montre que la personne qui m’interpelle dépasse le simple constat, mais
c’est très rare. En fait, le plus important, quel que soit la couleur de notre
peau, c’est d’agir comme quelqu’un de bien.
Tout cela pour vous dire que
Demers, pour moi, est un beau nom parce qu’il désigne des gens de cœur, des
gens qui veulent agir selon le bien. Or, il se trouve que mon nom a plu ici à
quelqu’un de mon entourage et cela assez pour qu’il le donne à son fils nouveau-né.
Ne vous y trompez pas, je ne suis pas parrain, je ne donne pas mon prénom.
C’est de mon nom qu’il s’agit, de celui de toute cette grande famille qui est
la mienne, les Demers. En effet, au Congo, il arrive qu’on reprenne ainsi le
nom de famille de quelqu’un pour le donner à un de nos enfants. On peut le
faire par amitié, par estime, pour fournir un modèle ou simplement parce qu’on
en aime la sonorité.
Alors, grand-maman, dis-toi qu’il y a
maintenant un Demers congolais, pure laine,
et qu’il sera surement quelqu’un de bien. Un Demers de plus, somme
toute.