mercredi 24 septembre 2014

Quatre clés pour comprendre l’Afrique (et peut-être nous comprendre aussi)



J’entame ici une petite série de quatre articles sur l’âme africaine. Comment mieux comprendre nos partenaires, comment interpréter certains de leurs comportements? Du coup, en regardant les autres, on ne peut s’empêcher de se regarder aussi.
La première clé que je vais vous communiquer va peut-être vous paraître évidente : La vie, ici, est dure et souvent brève. Voilà des millénaires qu’il en va ainsi, en fait depuis les racines de l’humanité. L’Afrique est notre berceau commun mais c’est un lit qui peut être diablement inconfortable. Le climat est dur, alternant entre de longues périodes sèches et de brusques périodes de fortes pluies qui ravagent les sols. Les virus et les microbes se multiplient ici comme dans une véritable boîte de Petri*. Les animaux à venins sont nombreux et divers, les insectes transmettent des maladies comme le paludisme alors que le gibier porte d’autres maladies comme l’Ebola. Et cela c’est la normalité quotidienne qui ne tient pas compte des conflits, des famines, des épidémies.
Quand vous vivez dans un milieu qui comporte un tel niveau d’incertitude vous voulez profiter de ce qui passe. Après tout, les seules choses dont vous êtes surs sont celles que vous avez maintenant. Demain vous serez peut-être mort ou vous aurez peut-être tout perdu. Vous vous projetez relativement peu dans le futur ce qui a de bons côtés; vous portez plus attention aux choses vraiment importantes comme votre relation aux autres, le sens de la fête et du plaisir, la dimension spirituelle de votre être. Mais cette insistance sur le présent a aussi de mauvais côtés; le travail bâclé puisque sans cesse interrompu par d’autres priorités, le mauvais service aux clients puisqu’une bonne affaire aujourd’hui vaut mieux qu’une relation d’affaire à long terme, le pillage des ressources puisqu’il faut en abuser pendant qu’il y en a. Et quand les gens épargnent, quand ils placent de l’argent, ce que les riches du continent font en abondance car ils sont bien plus riches que vous et moi, ils le font en Europe ou en Amérique. Là, la société, les banques, les financiers se projettent dans le futur et spéculent dessus. Ils le font même trop, oublieux du présent, oublieux de ce qui fait la richesse de la vie, trop tendus vers demain lequel, pourtant, ne s’atteint jamais car il demeure toujours demain.
Vous avez ainsi l’occidental, trop sûr de sa vie pour en jouir et qui ne vit que dans le futur; puis, l’africain, trop conscient des périls qui menacent sa vie pour ne pas profiter pleinement du présent quitte à mettre le futur en danger; et, enfin, l’africain riche qui vit un pied dans chaque monde, profitant du présent et du futur bien mieux que vous n’en êtes capables.
De cette réalité africaine nous devrions apprendre, ce me semble à moins contraindre nos vies, moins nous réglementer pour éviter tous les dangers. Notre vie, de toutes manières, s’achèvera par la mort. Mais c’est vrai que chez nous on ne meurt même plus, on part.

·         La boite de Petri, du nom de son inventeur, est une petite boite ronde et plate utilisée en laboratoire pour la culture des bactéries

jeudi 11 septembre 2014

LES NÉVERS




La première fois que je l’ai rencontré il m’a dit qu’il était un néver. À moi de comprendre, en entendant cela s’il voulait dire qu’il était un nez vert, improbable membre d’une tribu perdue tout aussi improbable, ou un nez vers, désignation étonnante pour un pisteur de grand talent capable de retrouver son gibier à l’odeur. À moins que cela veuille simplement dire qu’il est né vers, le vers ne désignant pas un lieu comme dans «je suis né vers Granby» mais une date comme dans «je suis né vers 1955». ET, bien sûr, c’est cette dernière hypothèse qui est la bonne.
Il y a beaucoup de nés vers en Afrique Noire, particulièrement chez les plus de quarante ans. En fait, dans bien des régions du monde encore, les nés vers sont légion. C’est un phénomène qui nous est particulièrement étranger puisque nous sommes un des très rares peuples  au monde, peut-être le seul en fait, à pouvoir remonter ses ancêtres sur quelques quatre siècles. Chez nous l’état civil existe depuis les débuts de notre société. Ce n’est pas le cas ailleurs. Dans les deux grandes difficultés qu’affrontent plusieurs pays il y a l’absence d’état civil et l’absence de registre foncier. Qui est citoyen, qui possède quoi, voilà des éléments essentiels pour les sociétés complexes actuelles. Quand ces outils font défaut les choses sont beaucoup plus compliquées.
Mon ami «néver» ne pouvait pas aller à l’école puisqu’il n’avait pas d’existence légale. Il a réussi, enfant, à se faire faire un acte de naissance, en payant ce qui était pour lui une fortune. Comme il était orphelin c’est en parlant avec les gens du village qu’il a su qu’il était né avant la récolte du mil, l’année d’après la naissance d’untel, lui-même étant né après l’élection. Aujourd’hui il a un passeport avec une année, un mois, un jour de naissance. Mais ces renseignements sont en fait ceux qu’il a fait écrire, à 6 ans, sur un formulaire qui lui a donné accès à l’école.
Les enfants dont la naissance n’est pas enregistrée n’existent pas même s’ils sont encore des millions. Certains d’entre eux sont cachés par leurs parents, pour les protéger de risques réels ou fictifs. Ainsi, en Haïti, un enfant pouvait être amené à l’hôpital chaque fois sous un nom différent, par crainte d’un mauvais sort; le résultat, cependant, est qu’il est impossible d’assurer un suivi médical. Mais, le plus souvent, les enfants ne sont pas déclarés simplement parce qu’il n’y a pas de bureau d’état civil dans la zone, ou parce que le taux de mortalité est si élevé que l’on attend qu’ils soient plus vieux. Ceci étant, ce sont des proies encore plus facile pour les trafiquants, les esclavagistes, les proxénètes, les chefs de guerre, les fous de dieu.
Le seul avantage de ne pas connaître sa date de naissance avec exactitude c’est de pouvoir célébrer son anniversaire n’importe quel jour, en toute bonne foi. Et mon ami ne s’en prive pas.

lundi 1 septembre 2014

l'Ebola



Il y a des mots qui frappent l’imagination, qui sont suffisants pour entrainer la crainte à leur simple évocation. Il en est ainsi de Peste, Sida et, aujourd’hui d’Ebola.
Dans tous ces cas ce qui nous inquiète c’est le taux de mortalité effrayant qui est associé à la maladie concernée. Il y a aussi le poids des images; anciennes comme celles de la peste qui a ravagé à plusieurs reprises l’Europe et l’Asie; plus récentes, comme celles du sida qui a tué tant de jeunes hommes en Amérique et qui tue encore tant de jeunes femmes, d’hommes et d’enfants en Afrique; actuelles, comme celles de ces villages ravagés et de ces corps ensanglantés au Libéria et chez ses voisins. Or, Ebola est une fièvre hémorragique dont les manifestations peuvent être spectaculaires : la vision, tantôt des victimes et tantôt des soignants, avec masque, lunette, gants, tenue isolante complète, renforce la peur. En un sens, c’est une bonne chose puisque cela peut motiver les populations à la prudence. En un autre sens, c’est une mauvaise chose puisque cela peut favoriser la panique. Le meilleur moyen de réagir, pour les autorités, est donc de donner l’information la plus précise possible pour que les citoyens connaissent la menace, sachent comment la réduire et se mobilisent pour ce faire.
Car si Ebola est des plus mortelles, elle est aussi peu contagieuse. Il faut un contact direct avec les sécrétions corporelles (salive, sang, sueur, etc) d’un malade pour être infecté. Il y a donc moyen de se protéger, d’autant plus que les symptômes doivent être présents pour que la maladie soit transmissible (pas de porteur sain ou de porteur latent comme dans d’autres maladies).
Quand j’ai quitté le Canada pour venir travailler ici, plusieurs amis et connaissances m’ont parlé de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. Mais, si vous regardez sur une carte du monde, vous verrez que le Congo-Brazzaville est bien loin du Libéria. Certes il est plus près du Nigéria, où il y a eu des cas à Lagos. Mais, dans les faits, il n’est pas vraiment plus près  du Libéria que ne l’est Montréal; avec les transports actuels, tout est près de tout. La différence, bien sûr, est qu’au Canada un cas serait tout de suite isolé et traité, ce qui n’est pas forcément la situation de nombreux pays africains, dont le Congo. Cela rend mon travail ici encore plus nécessaire puisqu’il consiste à renforcer la formation paramédicale.
Devant toute menace, quelle qu’en soit la nature, il faut d’abord s’informer et partager l’information en s’assurant de son sérieux; les réseaux sociaux peuvent être catastrophiques en reportant des rumeurs, des informations partielles ou erronées. Il faut plusieurs sources avant de confirmer un risque et il faut par la suite un bon esprit critique pour savoir comment agir. Le drame d’Ebola, actuellement, ce n’est pas tant le virus lui-même que l’ignorance et la peur. Il en va de même pour bien des choses, pas seulement pour les maladies.