lundi 8 novembre 2010

Le beurre et l’argent du beurre

Voilà plusieurs semaines maintenant que nous discutons de l’exploitation du gaz de schiste, un peu comme nous avons discuté auparavant des parc d’éoliennes et, quelques années plus tôt, des lignes de transmission à haut voltage. Nous avons aussi discuté, sur le même ton et avec les mêmes prises de position un peu prévisibles, des gazoducs, de l’exploitation des ressources énergétiques du golfe du Saint-Laurent et de la valorisation des déchets, notamment des huiles usées, par leur incinération.
À chaque fois nous avons adopté le risque zéro. Alors que les pays d’Europe n’enfouissent plus leurs déchets mais les transforment en énergie, nous leur avons d’abord envoyé à grand frais nos huiles contaminées au BPC; nous aurions aussi été en mesure de les brûler gratuitement dans nos cimenteries mais nous avons choisi de ne courir aucun risque, nous nous sommes dotés d’un incinérateur mobile spécialisé et nous avons consacré quelques années et des millions de dollars à leur destruction.
Nous voulons une énergie verte et nous ne voulons pas dépendre que de l’hydroélectricité; mais nous ne voulons plus harnacher de nouvelles rivières, nous ne voulons pas d’éoliennes qui font du bruit ou qui modifient le paysage. Nous voulons vendre de l’électricité à nos voisins mais sans bâtir de nouvelles lignes ou de nouvelles centrales. Nous trouvons que les terre-neuviens se plaignent du Québec pour rien car si nous revendons leur électricité avec un énorme profit, c’est en vertu d’un contrat valide ; et il n’est pas question que nous laissions le fédéral les aider à construire une infrastructure qui leurs permettrait à l’avenir de se passer de nous !
Nous désirons avoir de l’énergie mais il faut que celle-ci soit propre, n’ait pas besoin d’être transportée, nous rapporte de l’argent et nous fasse aimer de nos voisins même si on les exploite un peu au passage.
C’est parfaitement possible. Il suffit de changer nos habitudes.
Si nous diminuions le chauffage de nos maisons de deux degrés, passant de 21 à 19 degrés, nous sauverions une masse énergétique énorme. Non seulement nous ne le faisons pas, malgré les bienfaits d’une telle mesure pour l’environnement et pour la santé physique de la majorité, mais la Régie du logement interdit aux propriétaires de le faire, imposant le 21 degrés dans tous les immeubles locatifs avec chauffage fourni.
Si nous diminuions le nombre d’automobiles, que nous augmentions le prix de l’essence, que nous surtaxions un deuxième ou un troisième véhicule, non seulement nous aurions les ressources pour améliorer les transports en commun mais nous sauverions assez d’énergie pour ne pas avoir besoin d’en chercher de nouvelles sources.
Si nous favorisions des maisons dont la grandeur est en lien avec les besoins réels des personnes, si nous refusions l’étalement urbain, si nous revaloriserions les centres villes nous aurions plus d’énergie qu’il ne nous en faut.
En fait, si nous vendions simplement l’énergie à son juste prix, nous verrions bien des comportements de gaspillage cesser. Et nous pourrions alors choisir de refuser les développements de nouvelles sources d’énergie.
Pour l’instant, nous demeurons parmi les individus les plus énergivores de la planète. Chacun d’entre nous consomme dix fois plus d’énergie qu’un africain, cinq fois plus qu’un sud-américain et deux fois plus qu’un européen.
Il faudrait peut-être que nous cessions de nous interroger que par rapport à nous-mêmes et que nous commencions à nous interroger sur notre vrai impact mondial. Se pourrait-il que nous ne soyons pas aussi gentils que nous croyons l’être ? Se pourrait-il que nous voulions le beurre et l’argent du beurre, même aux dépends des autres ?

mardi 12 octobre 2010

La gifle

Nous sommes fiers de notre image internationale, fiers d’être appréciés partout et de pouvoir faire des affaires ou des voyages sans difficulté grâce à la perception positive que les autres ont de nous. Que nous nous déclarions canadien ou québécois, nous profitons du fait que le Canada est un pays apprécié.

Oups ! J’oubliais les années au pouvoir de Harper ! J’oubliais sa position aveuglement pro-israélienne lors des bombardements de Beyrouth en 2006, quand des canadiens risquaient de mourir dans les explosions ; j’oubliais que son gouvernement était le seul du monde occidental à avoir abandonné un ses citoyens à Guantanamo ; j’oubliais que Harper s’était aligné sur Bush durant des années, se mettant à dos des pays de partout dans le monde ; j’oubliais qu’il avait laissé tomber l’Afrique et qu’il défendait une position rétrograde dans le dossier de la santé maternelle ; je faisais comme vous, j’oubliais que ce mauvais gouvernement, ultra conservateur, rompait avec la politique internationale historique du Canada et nous valait des adversaires là où nous avions des amis il y a encore quelques années.

D’autres n’ont pas oublié.

Que des ministres canadiens se fassent refuser l’espace aérien d’un pays du golfe arabique, n’est que le résultat de l’attitude fermée du gouvernement Harper. Après tout ce n’est pas bien grave. Mais, avant, nous avons aussi vexé la Chine, le Mexique, quelques pays d’Europe de l’Est.

Le résultat est que le Canada, septième pays donateur à l’ONU, vient de se faire refuser un siège au Conseil de sécurité ; la majorité des pays du monde a voté contre nous.

Ce n’était jamais arrivé.
C’est une gifle et elle fait mal.

Elle est la conséquence de la pire gestion de notre histoire de nos liens internationaux. Ce n’est pas qu’un symbole ;la majorité des pays du monde, malgré nos alliances et notre richesse, a refusé de nous voir à la plus haute instance de l’ONU ; la majorité des pays du monde a refusé de nous donner un siège que nous avons toujours eu, régulièrement, à chaque décennie.

Oui, Harper aura marqué l’histoire du Canada. En mal, c’est le moins qu’on puisse dire.

Le message est clair ; nous ne sommes plus aimés, nous ne sommes plus respectés. C’est logique car nous ne sommes plus aimables et nous ne sommes plus respectables.

Allons nous, au Québec, demeurer isolés et laisser ce gouvernement démolir notre réputation et le travail des cinquante dernières années ?

Il est grand temps que nous allions en élections et que nous votions pour sortir Harper du pouvoir. Comme minoritaire il fait du dégât et il ne suffit pas de se contenter de l’empêcher d’avoir la majorité. Depuis les sièges de l’opposition on ne peut pas faire que le rôle du Canada dans le monde soit sauvegardé. Il faut être au pouvoir pour regagner la confiance des autres pays et rétablir notre réputation.

Aujourd’hui c’est une gifle. Mais si nous laissons ce gouvernement en place, même minoritaire, la prochaine fois cela risque bien d’être un coup de pied au c…

jeudi 5 août 2010

La procréation assistée et gratuite

Les québécois vont donc dépenser 35 millions, selon les projections, pour donner un accès gratuit et non limités à trois méthodes de procréation assistée ; quelque soit votre situation, mariée ou non, hétérosexuelle ou homosexuelle, âgée de 20 ou de 60 ans, ayant des relations sexuelles ou n’en ayant pas, vous avez désormais droit de porter un enfant et de le faire au frais de tous les citoyens du Québec.
Je comprends que le fait de désirer un enfant et de ne pas pouvoir en avoir peut être vécu comme un drame. Mais encore faudrait-il déterminer pour qui ; ce que Québec a décidé c’est un accès illimité qui ne tient aucun compte de la réalité des personnes ; entre un couple qui tente d’avoir un enfant depuis quatre ans et une femme seule qui veut un enfant sans avoir de rapport sexuels, il me semble qu’il y a une différence assez fondamentale.
Pire encore, pour avoir droit à la procréation assistée gratuite il faudra simplement avoir droit à la carte d’assurance maladie du Québec ; attendons nous à recevoir des visiteuses d’un peu partout qui, pour le prix de quelques mois de loyer, deviendront mères grâce à nous. Et attendons nous donc à ce que les 35 millions soit très largement dépassé. Pour ma part je parie que nous atteindrons allégrement le 100 millions assez rapidement.
Oui, c’est un drame de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Tous ne veulent pas adopter, certains sentent le besoin de vivre leur grossesse.
Mais n’est ce pas aussi un drame de ne pas voir ? Ou de ne pas avoir de dent ? Ou d’être en détresse psychologique ?
Si vous voulez voir correctement, au Québec, vous devez vous payer vos lunettes ou votre chirurgie ; l’enfant qui ne voit pas le tableau et dont les parents travaillent au salaire minimum ne vit pas de drame semble-t-il ou du moins pas un drame suffisant pour émouvoir les décideurs.
Si vous voulez mordre dans vos aliments, au Québec, vous devez vous payer vos traitements chez le dentiste ; celui qui a les dents cariées, ou une maladie des gencives sans avoir les moyens financiers de se faire traiter n’a qu’à souffrir et manger de la purée. Son drame n’en est pas un.
Si vous êtes déprimé, mal dans votre peau et que vous ayez besoin de consulter un psychologue vous devrez le faire à vos frais. La détresse psychologique, qui est reconnue comme la maladie la plus prévalente de nos jours, n’est pas un drame suffisant pour que Québec la prenne en charge.
Oui, ne pas pouvoir avoir d’enfant est un drame personnel. Mais il existe bien d’autres drames, plus courants et qui affectent plus de nos concitoyens. Pourquoi s’attaquer à celui-là ?
Parce que le lobby et les portes paroles sont plus actifs et célèbres ?
Bref, à partir de cette semaine au Québec, vous pouvez avoir accès à la procréation assistée et gratuite. Si, douze ans plus tard, votre enfant se casse la quatrième vertèbre cervicale et devient quadraplégique, sans que ce soit dans un accident de la route ou du travail, vous aurez l’occasion de découvrir qu’il existe d’autres drames où vous êtes bien peu accompagné. À moins que votre enfant ne soit simplement autiste ? Ou trisomique ?
J’avoue être un peu fâché ; avant d’aider des parents potentiels à avoir des enfants il me semblerait plus logiques d’aider les parents réels à élever leurs enfants.
Ne serait-ce qu’en offrant une école publique vraiment gratuite.

mardi 13 juillet 2010

Port-au-Prince; 6 mois après

Si vous comparez deux photos de la cathédrale de Port-au-Prince, l’une prise le 13 janvier au matin et l’autre prise six mois plus tard, le 13 juillet, vous ne verrez pas de différence. Même chose avec le palais national, avec l’édifice de la télévision ou avec l’un ou l’autre des nombreux hôpitaux qui se sont écrasés lors du séisme.

Faut-il en conclure pour autant que la reconstruction n’avance pas ?

Construire une cathédrale prend du temps. À Granby, il a fallu six ans, de 1900 à 1906, pour construire l’église Notre-Dame, sur la rue Principale, près du Cégep. Cela s’est fait dans une ville normale, dans une période normale, avec des équipements normaux et des ouvriers entrant chez eux le soir dans une maison normale pour y manger un repas normal. Et il n’y avait pas une première église à démolir, à la main, à coups de masse, en transportant les débris à la pelle.

D’accord, me direz-vous, construire prend du temps mais démolir ? Comment se fait-il que cela prenne tant de temps ? Comment se fait-il que six mois plus tard tout ne soit pas dégagé ? Souvenez-vous du 11 septembre 2001 ; les tours jumelles ont été détruites en quelques heures…mais il a fallu deux ans et demie pour ramasser et déplacer les débris, 30 mois pour dégager l’espace et le préparer pour une reconstruction qui, neuf ans plus tard, n’est toujours pas commencée. La société la plus riche du monde, avec les équipements les plus modernes et les ressources financières les plus abondantes, avec l’ensemble de la ville de New York entièrement fonctionnelle autour du site à dégager, a pris 30 mois pour enlever les débris.

Ici nous sommes une poignée de privilégiés à mener une vie à peu près normale avec une maison où entrer le soir, avec l’argent nécessaire pour aller dans les marchés d’alimentation acheter des denrées importées, avec la possibilité de dormir derrière des grilles et des gardes. Pour au moins un million de personne la nuit est faite de craintes et de dangers ; risques de vol, de viol, de meurtre, dans des maisons endommagées ou dans des campements peu salubres. La journée se passe à trouver de quoi vivre pour la journée qui passe, demain étant une autre journée qui devra se passer à trouver de quoi y survivre.

L’aide internationale est relativement désorganisée, les bonnes volontés se bousculent et parfois s’annulent. J’aurais beaucoup à dire sur des actions vaines et dérisoires, des choix grandiloquents mais fondés sur une grande méconnaissance des réalités du pays. J’aurais même beaucoup à dire sur le mépris plus ou moins voilé que certains bienfaiteurs ont pour le pays qu’ils sont supposés aider. Mais il reste que, en six mois, des centaines de milliers de tentes, de kits de cuisine, de couvertures, de vêtements ont été distribués, que des latrines, des réservoirs d’eau, des douches ont été installés, que des malades, des blessés, des amputés ont été soignés. Et que des dizaines de milliers de corps ont été retirés des débris et enterrés.

Imaginez toute la région de Montréal rasée, pleine de gravas, de cadavres, sans eau, sans électricité, sans hôpital, sans machinerie et devant compter sur l’aide de Sept-Iles et de Rimouski pour tout réparer et reconstruire. Imaginez que six mois après le désastre certains s’étonnent que vous ne soyez pas plus avancés.

Moi, ce qui m’impressionne ici, c’est la force des gens ; six mois après, ils persistent, ils essaient, ils se reconstruisent.
Les symboles peuvent attendre.

mercredi 16 juin 2010

Port-au-Prince: Reconstruire à tout prix

Il habite sous une tente depuis la mi février, avec sa femme et sa mère. Il y a de l’eau courante et des toilettes dans son campement, ce qui fait de lui, à certains égards, un privilégié. Deux fois privilégié en fait puisqu’il dispose d’une tente après n’avoir passé que quatre semaines sous une bâche avec des panneaux de carton, pour avoir un peu d’intimité.

Plus encore, il a un emploi, un bon emploi bien payé dans un projet international ; il gagne presque 6000$ par année, soit cinq fois plus qu’un employé au salaire minimum. Mieux encore, son employeur lui a versé une aide spéciale de 1000$ pour qu’il puise dégager son terrain couvert des débris de ciment de son ancienne maison puis commencer à se reconstruire.

Il se construit une maison de trois pièces, de 9 mètres par 9 mètres pour un total intérieur de 80 mètres carrés soit environ 720 pieds carrés. Il n’aura ni l’eau ni l’électricité dans la maison, bien sur, mais tout de même une toilette extérieure et une prise d’eau pour faire la cuisine. La structure de ciment, poteaux, blocs et dalles, va demeurer visible, non pas par souci d’esthétique moderniste mais bien parce que passer un stuc de finition sur les surfaces couterait trop cher. On ne parle évidemment pas de peinture.

Bref il va disposer, vers la mi-juillet, d’un espace de bêton gris, avec des ouvertures grillagées et une porte en métal. Un espace qui lui permettra d’être au sec et en sécurité avec sa famille. Un espace qui pourra recevoir des lits, une table, des chaises. Un espace où il réussira à faire un branchement électrique direct sur les fils de l’EDH (électricité d’Haïti) pour pourvoir brancher une télé. Autour, dans sa petite cours, il aura une toilette et la place pour un réchaud au bois sur lequel sa femme fera la cuisine. Un espace dont vous ne voudriez probablement pas mais qui, pour lui, est sa nouvelle maison, une maison dont il est déjà fier et où il espère suivre le dernier match du mondial de soccer, le 11 juillet prochain.

Il a pris soin de bien construire, avec beaucoup de métal dans le béton, pour que la maison ne s’écrase pas la prochaine fois. Remarquez, le 12 janvier sa maison n’est pas tombée ; c’est l’immeuble d’à côté qui s’est écroulé dessus et qui l’a brisée. Contre ça il ne peut rien, seulement espérer que le voisin fera comme lui, construire solidement.

Cette nouvelle maison lui coûte cher. En plus du 1000$ qu’il a reçu de son employeur, du 1000$ qu’il avait économisé, il a du emprunter 50 000 gourdes ce qui équivaut à 1 400$ ; au total sa maison lui coûte sept mois de salaire, sans compter le terrain qui lui appartient déjà. Il a réussi à emprunter parce qu’il a un bon emploi, cinq fois supérieur au salaire minimum. Même là ce n’est pas la banque qui lui prête, c’est le réseau informel, les commerçants locaux.

Le séisme est une catastrophe pour la grande majorité mais une source de richesse pour les riches. Alors il a trouvé un prêteur qui lui a avancé 1 400$ … à un taux de 25%, garanti sur la maison.

J’ai parfois l’impression que nous pourrions être plus utiles que nous ne sommes.

vendredi 11 juin 2010

La parole donnée

Samedi je me suis évadé de Port-au-Prince pour passer une journée à la mer, loin du bruit et de la poussière de la ville, dans un lieu où on peut marcher sans courir le risque d’une agression. J’avais téléphoné la veille pour réserver une chambre et négocier son prix. Arrivé sur place, la réceptionniste respectait le prix, mais pas la chambre ! Bref, j’ai payé une chambre ordinaire, crottes de souris comprises, au prix d’une chambre de luxe avec accès direct à la mer.

Lundi, je devais dire quelques mots lors d’une cérémonie inaugurale avec le ministre de l’Intérieur, la directrice de la protection civile, le vice recteur de l’Université d’État, bref plein de gens sérieux. Ma secrétaire avait réservé pour moi un chambre à proximité car la cérémonie allait se terminer après le coucher du soleil et que les consignes de sécurité font que nous ne devons pas rouler hors de la ville la nuit. À l’hôtel, surprise, on respectait la chambre mais pas le prix ! On me demandait environ 20% de plus (20% de plus de votre argent ; je dirige un projet financé par la coopération canadienne).

Depuis le séisme beaucoup de fournisseurs ici augmentent leur profit. Les hôteliers suivent le mouvement, les chambres étant plus rares car plusieurs hôtels se sont effondrés.
Et ces fournisseurs, pour avoir votre clientèle, n’hésitent pas à vous mentir. Une fois que vous êtes coincés, que vous ne pouvez plus changer d’avis, ils violent leur parole et vous demande plus ou vous donne moins.
Le phénomène est largement répandu aujourd’hui en Haïti. C’est sans doute ce qui explique que personne ne semble plus faire confiance à personne. A force de mensonges, de paroles et d’engagements non respectés, on a rompu le lien de confiance. Ici, on n’achète plus une maison; même signée devant un notaire la transaction peut être fausse et vous achetez en fait une maison qui n’appartient pas au vendeur. Alors on n’investit plus, on ne croit plus, on ne s’associe plus.

Toute société se base sur les relations entre les groupes et entre les personnes. Et toute relation se fonde sur la confiance. Quand celle-ci est ébranlée, elle l’est pour toujours. Quoique l’on fasse, si on a triché une fois, l’autre se méfiera au moins un peu dans l’avenir.
Il nous arrive à tous de tricher. Mais il est essentiel que nous tenions parole. Quand on prend un engagement (même celui d’écrire un article pour le lendemain !) on le respecte. Que ce soit comme parent, comme vendeur, comme gestionnaire, comme professionnel, le bon état de notre société dépend de chacun de nous et de notre volonté de respecter nos engagements. Quand un fraudeur comme Vincent Lacroix vole des épargnants il ne fait pas que les voler ; il détruit leur confiance et celle de milliers d’autres personnes qui planifient leur retraite. Il faut donc, pour compenser les ravages commis par un seul fraudeur, des milliers de personnes honnêtes. C’est vous, dans vos actions de tous les jours, qui faites que notre société existe, se tient et prospère. C’est la somme de vos consciences individuelles qui font que les titres de propriété, l’argent, le travail, la famille, gardent leur sens et leur valeur. Sans vos conscience, sans votre respect de la parole donnée, rien n’est possible pour les humains.
Surtout,il faut que ceux et celles qui nous représentent respectent leur parole, suivent leur engagement. Nous avons tous le droit à l’erreur, nous avons tous des comportements privés qui peuvent être ridicules ou discutables. Mais nos particularités et nos faiblesses ne doivent pas porter sur la parole donnée. Car alors il ne s’agit plus seulement de mensonge ou de tricherie, il s’agit de la rupture du lien fondamental qui nous uni les uns aux autres ; la confiance.

vendredi 4 juin 2010

Entre angélisme et cynisme (2)

Il semble que les électeurs canadiens soient cyniques. Désabusés, ne croyant plus à la bonne foi des politiciens, ils ne s’intéresseraient plus à la politique. Et on parle de cynisme.
Ce n’est pas cela le cynisme. Regardez dans votre dictionnaire, à défaut d’en avoir encore des exemples suffisants dans la vie quotidienne. Le cynisme c’est la capacité de se détacher des choses, de les regarder avec une distance qui nous les rend plus objectives, de ne pas suivre les sentiers obligatoires de la morale établie. C’est aussi la capacité de s’en moquer car l’ironie et l’humour demeurent des armes efficaces pour changer les choses.

De même que la colère peut être une vertu quand elle est refus d’un ordre établi inacceptable, le cynisme est un courage ; celui de dénoncer, s’il le faut par le ridicule, ce qui doit être dénoncé.

On ne pratique plus le cynisme de même que l’on ne pratique plus l’argumentation. Tout se vaut et, au nom du vivre ensemble, on perd le sens du mot vivre. Je ne demande pas que l’on meurt pour ses idées mais au moins que l’on vive pour elles. Je m’inquiète d’une société à ce point tiède qu’elle ne s’excite plus sur autre chose que des choses. On consomme, on parle de notre consommation, qu’il s’agisse des émissions de télé, des matchs sportifs, de notre récent frigo ou de notre nouvelle auto. Mais quand parle-t-on d’idée, quand parle-t-on de valeur ?

Bien sur, si je vous parle de mes idées, comme je le fais d’ailleurs depuis plusieurs mois, vous ne serez pas toujours d’accord. Mais pourquoi faudrait-il l’être ? Au contraire, c’est par la confrontation des idées, par l’écoute des arguments des autres, par la discussion ouverte et souvent passionnée que le progrès est possible.
Le Cégep de Granby Haute Yamaska a connu un essor non négligeable pendant que j’en étais le directeur général. Cela a été possible parce que nous avions une équipe de direction qui jouait le jeu totalement à chacune de ses réunions. Nous n’avions pas peur de nous contredire, de reprendre les arguments de l’autre pour les attaquer, de développer les nôtres. Après, quand nous avions pris une décision, nous savions qu’elle était solide et nous pouvions nous y tenir. La solidarité est possible quand elle se base sur une vraie possibilité d’échange.

La discussion est essentielle et pour qu’elle se tienne il faut admettre au départ que toutes les idées, que toutes les opinions ne sont pas aussi bonnes les unes que les autres. Il faut admettre que l’on doit défendre ses idées et qu’il faut travailler à convaincre les autres tout en restant à l’écoute de leurs propres arguments, lesquels peuvent nous faire changer d’avis, nous. Il faut se donner des lieux d’échanges, d’écoute et de discussions.

J’aime la politique car elle est l’une des activités essentielles de notre démocratie. Je souhaite qu’elle soit un objet de conversation, de discussions, de tensions dans la recherche des meilleures solutions. Or il est clair qu’actuellement, ni l’Assemblée nationale ni la Chambre des communes ne sont de tels lieux. Pour sa part, le premier ministre du Canada fuit tellement la discussion qu’il suspend le parlement, empêche ses employés politiques de témoigner, fuit les points de presse ouverts et enferme la participation citoyenne dans un carcan.
Alors les électeurs sont désabusés. Ils ne s’intéressent pas à la politique. Moi, je les voudrais, je vous voudrais, vraiment cyniques, vraiment critiques, vraiment fâchés.

C’est ce que je nous souhaite pour la prochaine élection.

mardi 1 juin 2010

Entre angélisme et cynisme (1)

Nous vivons dans une société policée. Peut-être trop à bien y penser. Nous n’élevons plus la voix, nous fuyons les discussions, nous acceptons toutes les opinions.
À l’école on apprend aux enfants à se respecter les uns les autres et à respecter leurs différences. Voilà qui est très bien ; en effet, comment ne pas respecter les caractéristiques d’une personne ? Je suis né avec tel sexe, tel visage, tel couleur de peau. Je suis élevé dans telle croyance et dans telle habitude, Qu’y puis-je ? La société doit donc apprendre à chacun le respect de ces caractéristiques. Du moins, c’est ce qu’il est normal de dire aujourd’hui, chez nous. Pourtant il y a déjà là un premier glissement possible. Je ne peux rien changer à mes capacités innées mais l’éducation que je reçois pourrait être critiquée et mérite peut-être de l’être ; je peux être mal élevé, me montrer grossier, ne pas connaître les usages de notre société. Devrait-on respecter le comportement d’un enfant qui recrache sa morve par son nez sous prétexte que son grand père le fait dans son pays d’origine ? Ou qui met ses pieds sur la table ?
Où commence ce qui n’a pas à être respecté ? À partir de quel point puis-je mettre en question les comportements de l’autre ? Je ne suis pas sur que l’école traite de ça. Se contente-t-elle, terrifiée à l’idée d’une plainte devant la commission des droits de la personne, d’affirmer que tout doit être respecté ? Pourtant bien des comportements ne sont pas respectables.

Et puis, les opinions peuvent être sottes. Depuis quand affirme-t-on qu’elles se valent toutes ? Je veux bien que le vote de chacun ait le même poids puisque c’est un des fondements de notre modèle démocratique. Mais je refuse absolument que les opinions aient toutes le même poids. Une imbécillité mal argumentée, fondée sur la simple affirmation d’une autorité quelconque demeure une imbécillité. Qu’il soit impoli de déclarer que c’est une sottise, d’accord. Mais il doit demeurer permis de dire que c’est une opinion pauvre, inintéressante, appuyée sur le vide. Ainsi les thèses créationnistes, basées sur une lecture étroite des textes religieux et en contradiction avec tous les faits scientifiques, sont de pauvres thèses, des opinions défaillantes. Il est dangereux qu’une société pratique l’angélisme et la bonne conscience au point de ne plus le dire.

Quand Chapleau prend la couette de Rael dans sa main, lors de Tout le monde en parle, il pose un geste profondément impoli, à la limite de la violence. Mais il pose aussi un geste libérateur, affirmant que l’on a pas à respecter toutes les opinions et tous ceux qui les professent. L’opinion selon laquelle les extraterrestres nous visitent régulièrement est faible. Imaginez : Ils viendrait régulièrement nous visiter et n’auraient jamais laissé le moindre pipi, le moindre mouchoir sale, le moindre poil ou la moindre écaille ? On retrace un assassin avec une trace de lèvre sur une verre et on ne retracerait pas les extraterrestres ? Que la vie existe ailleurs c’est très probable ; qu’elle soit intelligente, capable de se déplacer et choisisse de nous visiter, voilà qui l’est beaucoup moins.
Les comportements et les opinions ne sont pas tous d’égale valeur et ne sont pas tous respectables. Il serait peut-être temps de recommencer à le dire. Quand une opinion se fonde sur des inexactitudes ou des faussetés, il faut le signaler et tenter de faire changer l’opinion de l’autre.
Mais on ne discute plus. En famille on ne parle pas de politique et chacun campe sur ses positions, refusant d’avance toute discussion et toute argumentation. Pire, le fait de discuter et de contredire est maintenant vu comme une impolitesse, quand ce n’est pas vu comme une agression ! On ne discute plus dans la rue, chez soi, au travail. L’angélisme règne et, au nom de la bonne entente, on sacrifie la vie intellectuelle, la réflexion, l’échange et le progrès.

L’enfer est pavé de bonnes intentions.

mardi 25 mai 2010

L’éthique

Il y a des mots qui deviennent à la mode. Parfois, la sur utilisation d’un mot ou d’une expression relève du simple tic et n’est qu’agaçante. Mais, parfois, il s’agit d’une perte de sens qui est plus grave comme c’est actuellement le cas, me semble-t-il, pour l’éthique.
Dire de quelqu’un qu’il manque d’éthique est un jugement à l’emporte pièce qui illustre peut-être davantage l’ignorance de l’accusateur que l’impureté de l’accusé ! Et si on faisait un peu de ménage pour s’y retrouver ?
D’abord vous avez la morale ; elle varie selon les sociétés, les religions, les époques et elle se distingue parfois mal des usages. Ainsi, dans le Québec des années cinquante, on jetait à la rue la petite bonne qui s’était fait engrossée; l’usage était admis par la société. De même, il n’était pas envisageable pour une femme de marcher en ville ou d’entrer dans une église sans se couvrir les cheveux… comme c’est le cas aujourd’hui dans plusieurs pays islamiques.
Bref, les morales changent et n’ont comme seul avantage que de vous éviter de réfléchir ; vous n’avez qu’à appliquer aveuglement un code social sans vous poser de question. La morale peut donc, facilement, aller à l’inverse de ce qu’on pourrait qualifier de bien.
Il y a aussi la loi. Dans une société et une époque donnée on s’est entendu pour déclarer telle ou telle chose illégale. Les lois changent aussi, comme la morale, mais de manière plus claire et plus structurée ; il y a une réflexion qui est tenue au moins par ceux qui développent la loi. Ceci dit, il y a cinquante ans une femme était légalement soumise à son mari ; aujourd’hui une femme peut accuser son mari de l’avoir violée. Autrement dit, pendant des décennies, chez nous, la loi comme la morale empêchaient une femme de se plaindre et de se défaire d’un mari qui l’abusait. Là encore, la loi peut aller à l’encontre de ce que nous pourrions appeler le bien.
Il y a encore la déontologie, un peu moins connue et encore plus mal utilisée que l’éthique. La déontologie est un ensemble de règles qui s’appliquent à une profession et elle exige souvent que l’on réfléchisse à la portée de notre action. Mais la réponse que l’on donne selon la déontologie, en visant le bien dans le cadre de l’acte professionnel, pourra ne pas aller dans le sens d’un bien plus général.
L’éthique, quant à elle, est obligatoirement une réflexion. Tenant compte de la morale, de la loi, de la déontologie, de votre conception personnelle du bien, vous tentez, dans une situation donnée, d’agir en fonction du bien. Vous êtes seul et personne ne peut vous guider. Le bien et le mal sont entre vos mains et c’est de votre décision que dépend la victoire de l’un ou de l’autre.
Vous êtes un militaire, lié par un devoir d’obéissance et habitué à ce devoir depuis quinze ou vingt ans ; on vous demande de diriger le camp d’extermination de Dachau pour éliminer efficacement des milliers de sujets et vous le faites. Ou bien on vous demande de laisser tomber une bombe atomique sur la ville japonaise d’Hiroshima, et vous le faites.
Ou est la différence ? Si vous vous réclamez des ordres reçus n’êtes vous pas autant coupable ou innocent dans l’un ou l’autre cas ? Avant d’accepter ou de refuser, n’avez-vous pas l’obligation de réfléchir, de tenter de comprendre, de porter un jugement éclairé puis de décider, en sachant la chose éthique ou non? Car de savoir qu’une chose n’est pas éthique ne nous empêche pas de choisir de la faire tout de même.
Quand nous réclamons plus d’éthique de nos politiciens ou de nos élites nous ne faisons, dans les faits, qu’exiger d’eux qu’ils respectent la loi et la déontologie ce qui est la moindre des choses.
L’éthique, elle, nous devons l’exiger de chacun de nous en sachant qu’elle requiert une chose à la fois essentielle, très simple et très exigeante ; de la probité.

mercredi 12 mai 2010

Les politiciens

Les sondages récents nous disent que les politiciens sont mal perçus par la population et que le lien de confiance semble être rompu. Bref, pourquoi voter pour des gens que l’on perçoit, au mieux ,comme incompétents et, au pire, comme corrompus ?
Les éditorialistes et chroniqueurs cherchent l’explication du phénomène pendant que d’ex-politiciens se désespèrent publiquement de l’état des choses…Tout en laissant entendre que, quand eux étaient là, les gens doutaient moins ! Comme si la méfiance envers le monde politique était si nouvelle. On cite René Lévesque ou Trudeau pour montrer la dégradation de la chose publique depuis leur départ mais on oublie qu’avant eux il y en a eu d’autres. Ce sont plutôt les Lévesque et Trudeau qui sont des exceptions, leur période qui a été remarquablement marquée par une véritable implication politique de toutes les couches de la société. Mais, tant avant qu’après la réputation des personnages politiques a été plutôt mauvaise.
Je me défini comme un politicien puisque j’ai été candidat aux élections fédérales de 2008 et que j’ai l’intention d’être à nouveau candidat. Je me suis, volontairement, identifié à un parti politique et à un type d’orientation sociale. Serais-je devenu malhonnête du jour au lendemain et les trente-cinq ans de travail que j’ai fourni jusqu’ici devraient-ils être réexaminés pour y trouver les traces de mes dispositions criminelles ? Certainement pas. Mais certains penseront que, pour être élu, je vais devoir commencer à mentir, commencer à devoir accepter des compromis ou des appuis qui seront le début de ma corruption ; ainsi, une fois élu, je rejoindrai le reste des politiciens, véreux comme eux.
Pour moi, pourtant, la question n’est pas là. Elle est plutôt dans le comportement même des électeurs. Combien d’entre nous votons encore pour une personne ? Si nous votons pour une étiquette, pour un slogan, si nous n’interrogeons pas la valeur de la personne avant de voter, il n’est pas étonnant de nous retrouver avec des personnes que nous ne voulons pas.
Le système parlementaire est plutôt un bon système de démocratie et il a le grand avantage de nous être familier. Par contre, comme à peu près tous les systèmes démocratiques actuels, il sépare les personnes selon leur parti. Au point que, trop souvent, on ne voit plus les personnes mais que les partis.
J’ai apprécié le fais que des milliers d’électeurs de Shefford donnent leur vote à mon parti à l’automne 2008. Mais j’espère que plusieurs d’entre eux ont aussi donné leur voix à Bernard Demers, comme la personne qu’ils voulaient pour les représenter à Ottawa.
Votons pour des gens, qui se regroupent et s’identifient bien sûr dans des partis, mais qui doivent demeurer des gens que l’on peut rencontrer, avec qui on peut s’expliquer et discuter.
En politique, la forêt ne doit pas nous cacher l’arbre. C’est notre travail d’électeur de lire, d’écouter, d’aller aux débats, de vérifier quel candidat ou candidate est le plus capable de nous représenter. Si nous refusons au départ d’en rencontrer un, si nous lui fermons la porte au nez à cause de la couleur de son parti, ne nous étonnons pas de retrouver en politique ceux que nous avons aveuglement élus, éblouis par des slogans.
Bref, souvenons-nous que voter est un geste important. Prenons le temps de le préparer et de nous renseigner sur les personnes et pas seulement sur les partis.

samedi 8 mai 2010

Port-au-Prince : Les morts

Aujourd’hui la vie, ma vie, a fait que j’ai encore côtoyé des morts. La morgue de l’hôpital universitaire connaissait des difficultés techniques et une grosse remorque réfrigérée, la même peut-être qui a apportée en ville des fruits de mer au début de la semaine, est stationnée près du bâtiment pour servir de morgue de secours. Comme je dois circuler autour, puis y attendre des collègues, je suis au cœur du courant d’air qui sort des deux portes ouvertes, de nouveaux cadavres venant s’ajouter à ceux qui emplissent déjà les trois quarts de l’espace, empilés les uns sur les autres, dans des sacs verts dont les jambes et les pieds dépassent.
Devant moi un homme, vivant ce matin et mort maintenant. Au plein soleil de trois heures, le thorax éclaté d’au moins deux coups de feu., il affirme son appétit à vivre, absurde devant les odeurs qu’il commence déjà à exhaler. Un autre corps, sur la même civière, semble venir du même événement violent, les collants de l’électrocardiogramme encore collés sur sa poitrine, ses yeux ouverts sur la douleur et le visage marqué, pour quelques heures, des traces de sa souffrance. Est-ce une consolation de penser que ce rictus va pourrir, enfin, pour laisser quelques décennies durant le silencieux sourire d’un crâne indifférent ?

D’autres attendent, dans une patience figée qui ne se lassera pas, l’humain déjà absent de ces dépouilles qui ne signifient plus rien pour eux mais qui me parlent toujours. Comme si les monologues que mon métier me fait entendre, écouter, encourager et refléter n’étaient pas suffisants pour me dire la difficulté de vivre et qu’il fallait encore y ajouter un charnier pour bien le souligner.
On choisit une profession de vie, on avance et on s’investit dans la construction de possibles, on se bat sans relâche pour que les choses soient un tant soit peu mieux et on rencontre, au propre ou au figuré, des monceaux de cadavres.

Parfois on écrit un texte comme celui-ci, pas pour expliquer, pas pour argumenter, simplement pour exister et pour persister. Pour retrouver du courage à travers les mots, pour continuer à avancer alors que l’on voudrait renoncer.
Ce sont ces textes, le plus souvent, qui sont refusés. Mes meilleurs manuscrits n’ont jamais été publiés. Trop parlant peut-être, trop francs, trop nus. Un texte impudique , un texte de faiblesse et de révolte, ça ne se publie pas, ça se censure, ça se tait, ça se cache.
Mais, des fois, ça se lit. Et ça change une autre vie.

mercredi 5 mai 2010

Construire au Québec

Les québécois sont fiers, à juste titre, de plusieurs de leurs réalisations collectives comme Hydro Québec, le réseau des cégeps et la Caisse de dépôt. Il y a là des spécificités qui nous amènent à parler du modèle québécois, du Québec Inc. Cette fierté va parfois, cependant, jusqu’à méconnaître la réalité en croyant que des réalisations ou des valeurs répandues à travers le Canada viennent du Québec; les assurances emploi et maladie ne sont en rien des inventions québécoises et la solidarité sociale est née dans l’Ouest bien avant d’apparaître au Québec. Cela n’est pas bien grave, si ce n’est que cette confusion permet au Bloc de se réclamer de valeurs qui sont en fait parfaitement canadiennes…
Non, ce qui est plus malheureux c’est qu’au nom de notre manière de faire, nous oublions de regarder nos erreurs. Ainsi, le cas Lacroix s’est produit chez nous, pas en Ontario, et a montré l’insuffisance de nos systèmes québécois de contrôle financier. Pourtant, devant la volonté de créer un système pan canadien, nous désirons garder le nôtre, quitte à ce que des milliers d’autres investisseurs se fassent voler.
Un autre cas, plus couteux encore, est celui de la construction.
Le Québec veut promouvoir l’excellence de ses ressources humaines et de ses entreprises. Pour cela il les a protégées de la concurrence extérieure afin qu’elles puissent se développer et devenir des joueurs d’envergure. Cela était très bien dans les années soixante dix et a en effet permis l’établissement du Québec Inc. Mais le maintien de ces protections est devenu ridicule, inefficace et ruineux depuis un quart de siècle.
Si vous n’êtes que quelques compagnies à faire des routes, si les autres compagnies établies aux Etats-Unis et en Ontario, où les routes coutent d’ailleurs moins cher, n’ont pas le droit de venir soumissionner, vous vous endormez dans votre confort. Le système ne vous pousse pas du tout à l’excellence mais bien à la paresse. Plutôt que de chercher des solutions originales, des procédés moins couteux, vous augmentez les prix et vous vous entendez avec les autres, quand ce n’est pas pire, comme nous l’avons vu récemment dans quelques cas.
Le scandale de la construction n’est pas que dans les éventuelles menaces à tel ou tel travailleur, dans le trucage des appels d’offre, dans le dépassement éhonté des coûts, bref dans la présence de criminels au sein d’activités commerciales dont tous les citoyens payent collectivement les coûts par leurs taxes et leurs impôts. Le scandale est ici dans le modèle québécois lui-même. Ce n’est pas parce que nous avons créé quelque chose qu’il ne faut pas le revoir et ce n’est pas parce que nous sommes les seuls à l’avoir que c’est forcément mieux qu’ailleurs. Dans le cas de l’industrie de la construction, et de la construction des infrastructures en particulier, tous les chiffres montrent que nous payons plus cher qu’ailleurs. Notre climat, semble-t-il, justifierait que nos routes soient plus chères (qu’en Suède ?) ; est-ce le même climat qui fait que les viaducs sont aussi plus chers ? Et les échangeurs, les centrales d’épuration des eaux usées, les hôpitaux ?
L’argent des infrastructures est dépensé dans plusieurs lieux de décision, du ministère des transports jusqu’aux municipalités. Tenter de redresser la situation par des brigades policières, par des commissions d’enquête publique, par le jeu démocratique librement exercé par des citoyens courageux qui dénoncent les abus est un travail de longue haleine, épuisant et peut-être inutile ; après tout, nous avons fait tout cela il y a quelques décennies et rien n’a changé vraiment, ni au sein des industries ni au sein des syndicats.
La solution la plus simple, la plus rapide et la plus efficace est sans doute de casser les monopoles et de s’ouvrir à la concurrence. Et là, vraiment, vous verrez les prix baisser.

dimanche 2 mai 2010

Enseigner

Vous avez très probablement déjà connu le plaisir de voir un jeune enfant faire ses premiers pas. On y éprouve une satisfaction réelle, comme si on était lié à son succès. Et c’est bien un peu ça qui se passe. Il nous a vu marcher, il a essayé, on l’a aidé des dizaines de fois. Et puis, aujourd’hui, il s’est lancé, affrontant toute la largeur de la pièce.

Ce plaisir je l’ai éprouvé bien souvent. Non pas seulement avec mes enfants mais avec des milliers de jeunes étudiants dans des cégeps et des universités. Voir le moment où, dans une salle de cours de quinze ou de deux cents personnes, des yeux s’allument devant ce qui leur est devenu une évidence; la porte qui s’ouvre c’est l’étudiant qui la pousse, bien sûr, mais c’est le maître qui la lui a indiquée.

Pour éprouver cette joie d’enseigner il vous faut connaître très bien un champ de connaissance, vous y mouvoir à l’aise et aimer en parler et vous y exercer. Vous ne pouvez pas enseigner la littérature si vous n’aimez pas lire. Un professeur de littérature ne sait pas s’il travaille ou non quand il relit Voltaire ou découvre un nouvel auteur. Quand il analyse un texte et s’en réjouit, il pense déjà à partager ses découvertes avec ses étudiants. Un professeur d’anglais ou de psychologie n’agit pas différemment. Je ne peux pas remarquer des comportements chez les gens sans m’imaginer les utiliser dans une salle de cours et, lorsque je suis en train de donner un cours je l’émaille d’une multitude d’exemples. Bref, j’aime ma profession et je ne peux pas cesser d’être psychologue pas plus que je ne peux cesser de savoir lire. Dès que je vois des lettres, c’est automatique, j’essaie de les lire. Essayez de vous retenir de lire, faites l’exercice quelques heures de ne pas lire les affiches, les panneaux, les boîtes de céréales; vous n’y arriverez pas !

J’ai trente-cinq de métier dont une quinzaine d’années où j’ai d’abord été professeur. J’ai donnée des cours du Lac St-Jean au Laos en passant par Haïti ou l’Estrie. J’ai enseigné la méthode scientifique, les bases de la psychologie, les théories de l’apprentissage, le leadership et j’en passe. Mais je ne pourrais pas enseigner au secondaire.

Mon père est biologiste, il a été président d’une association internationale de biologie, professeur émérite d’une grande université, il a formé des milliers d’étudiants. Mais il n’aurait pas le droit de donner un cours au secondaire.

Je connais ainsi des dizaines d’écrivains ou de scientifiques qui sont non seulement des spécialistes reconnus mais qui sont passionnants à écouter et qui ont d’énormes capacités pédagogiques. Mais même s’ils s’appellent Hubert Reeves ou Pierre Dansereau, ils ne peuvent pas donner un cours au secondaire. Ils n’ont pas leur brevet d’enseignant et ne l’auront jamais.

Il y a quinze ans encore un étudiant universitaire faisait son baccalauréat en biologie puis faisait un certificat en pédagogie. Il réalisait des stages en milieu scolaire et obtenait son brevet d’enseignement. Nous avions ainsi un professionnel qui pouvait œuvrer en biologie ou en milieu scolaire. Par ailleurs nous pouvions, si nous manquions d’enseignants, inviter des biologistes à faire leur certificats en pédagogie et obtenir rapidement ainsi de nouvelles ressources spécialisées.

Et puis, pour quelques bonnes raisons et beaucoup de mauvaises raisons, nous avons modifié les conditions d’obtention du brevet. Il faudrait désormais faire un baccalauréat de quatre ans en sciences de l’éducation au cours duquel on ferait environ deux ans de pédagogie et deux ans dans une ou deux disciplines.

Le résultat est catastrophique. Les étudiants qui aiment vraiment une discipline ne vont pas en sciences de l’éducation. Ils n’auront pas accès à l’enseignement secondaire s’ils ne font pas au moins trois années d’études après leur baccalauréat disciplinaire; il en résulte une pénurie d’enseignants, surtout dans le secteur des sciences. Par ailleurs les diplômés de sciences de l’éducation n’ont souvent qu’un vernis disciplinaire et ne possèdent pas la matière avec toute l’aisance que l’on attend d’eux.

On a voulu professionnaliser l’enseignement au secondaire ; on l’a sclérosé. La première qualité d’un enseignant c’est sa passion de transmettre sa discipline. Pour cela il faut être amoureux d’un champ du savoir et s’y vautrer à l’aise. Et il ne faut surtout pas être condamné à n’être, toute sa vie, qu’enseignant au secondaire sans avoir la possibilité de retourner à sa discipline de base pour s’y rafraichir et s’y conforter.

Le secondaire est ennuyeux pour les élèves. Il l’est tout autant pour les enseignants. Ne nous étonnons pas que les décrochages y soient aussi catastrophiquement nombreux. Reconnaissons nos erreurs et assurons nous d’avoir les enseignants dont nos enfants ont besoin ; des gens passionnés, mobiles, ouverts, circulant de leur métier à l’enseignement et pleinement à leurs aises avec les savoirs qu’ils sont sensés transmettre.

mercredi 28 avril 2010

Les vautours ; les hirondelles

Quand vous changiez des dollars américains pour avoir des gourdes, le 12 janvier dans la journée, les banques vous en donnaient 41 pour chaque dollar. Les épiceries et les stations d’essence étaient plus généreuses avec 42 gourdes ce qui faisait que chaque gourde vous coutait moins de deux sous et demi chacune. C’est normal car Haïti est un des pays les plus pauvres du monde ; la valeur d’une monnaie vient de la valeur de votre économie. Quand Haïti était plus riche vous n’aviez que 5 gourdes pour un dollar ce qui fait que, encore aujourd’hui, on appelle la pièce de 5 gourdes un dollar haïtien.
Le 20 janvier, quand les banques ont ouvert à nouveau, elles ne vous donnaient plus que 35 gourdes pour un dollar, chaque gourde vous coutant presque 3 sous. Le séisme n’a évidemment pas amélioré l’économie haïtienne. Mais les banques ont le papier monnaie dans leur coffre et les étrangers ont des dollars et veulent des gourdes. Alors on en profite et on se met 9% de profit pur dans les poches. Sans travailler, sans rien produire, une poignée de riches détournent à leur profit des centaines de milliers de dollars simplement en vendant du papier plus cher.
Pour revenir à Port-au-Prince, en février, j’ai essayé de louer une voiture ou de prendre un taxi depuis Santo Domingo car j’avais beaucoup de bagages, apportant avec moi des produits de première nécessité pour mon personnel local. Normalement le trajet jusqu’à la capitale haïtienne me couterait 200$ ; là on m’en demandait 400$ et on me déposait à la frontière, à charge pour moi de me rendre ensuite à Port-au-Prince. C’est plus du double alors que la République Dominicaine n’a pas été affectée, que l’essence et les autos y sont au même prix ; mais il y a beaucoup de demandes de la part des intervenants internationaux ; alors on en profite.
J’ai finalement pris l’avion qui m’a couté 270$ sans compter les bagages ; c’est le prix habituel d’un aller retour. Bien sur, on en profite.
Sur place j’ai visité une employée qui vit dans un campement avec son bébé de quelques mois. Elle est à l’aise financièrement mais sa maison est écrasée. Elle a bien trouvé un logement, signé un bail, mais deux jours après le propriétaire lui a demandé le double, 1000$ par mois, ou bien il louait à une ONG. Mon employée s’est retrouvée à la rue. Bref, on en profite.
Dans le petit avion bimoteur qui me ramenait vers Port-au-Prince il y avait un groupe de six hommes âgés dans la quarantaine. Habillés en Indiana Jones ils s’entre photographiaient, parlaient fort, allaient sauver Haïti qu’ils ne connaissaient pas, où ils n’avaient jamais mis les pieds. Ils venaient en secours d’urgence, un mois après le tremblement de terre, comme des pompiers qui se présentent devant un feu éteint alors que l’on attend les maçons et les menuisiers. Ces touristes de l’humanitaire, inutiles et prétentieux, vont participer à faire gonfler les prix et à déloger les habitants du pays. Mais ils auront de beaux souvenirs à raconter. Ils en profitent.

Et puis il y a autre chose complètement. Quand je monte sur Bourdon je vois toute la vallée en contrebas avec les maisons écrasées. À côté, sur des terrains qu’elle vient de se dégager, une véritable colonie d’hirondelles humaines se construit, de piquets de bois, de feuilles de tôle, de bâches plastifiées ; Port-au-Prince se réinvente en un millier de villages, sans attendre que d’autres disent quoi faire du haut de leur plan d’aménagement.
Il y a le marchand de fleurs qui venait chaque samedi ; il sonne à ma grille, et nous nous retrouvons, surpris et heureux que nous soyons là tous les deux, dans l’air encore frais de ce nouveau samedi naissant. Et je lui achète des fleurs en lui disant à samedi prochain, comme si cette promesse pouvait exorciser tous les malheurs.
Il y a cette partenaire qui, chaque fois que nous nous donnons un rendez-vous, dit « Oui, à mardi 10h, si Dieu le veut » et qui le dit maintenant sans que je lui réplique, comme je le faisais si souvent « Dieu voudra bien ». Je n’ose plus rien dire de ce que Dieu peut bien vouloir.

Je conduisais l’auto entre ma maison et le bureau et je suis passé devant le site de l’Université de Port-au-Prince. Dans cette université privée les salles de cours étaient pleines à 16h53 le 12 janvier. Il ne reste rien du bâtiment de six étages, qu’un énorme tas de gravats. Et les larmes me sont venues aux yeux en voyant, sur le béton éclaté, des bouquets de fleurs déposés là.

jeudi 22 avril 2010

Le Sud, le Nord, la vie et la politique

Il y a des courages qui sont spectaculaires. Celui du journaliste qui va au front ou qui descend dans les décombres d’un immeuble effondré, Celui du parachutiste qui se lance en plané ou celui de l’alpiniste qui affronte le froid, le vent, le vertige sur un à-pic de 1000 mètres. Ce sont là des courages qui sont soulignés dans les médias et qui méritent parfois des honneurs à ceux qui les ont eus. J’avoue que, pour ma part, je les trouve bien souvent plus adolescents qu’autre chose, plus fanfarons qu’utiles.
Quelqu’un qui affronte l’inévitable, qui fait avec ce que la vie lui offre, que ce soit en bien ou en mal, m’impressionne bien davantage. Trouver la force de persister quand sa maison est effondrée, que des membres de sa famille sont morts et d’autres blessés ou amputés. Trouver le courage d’aller de l’avant au moment où nous arrive un diagnostique de cancer, de sclérose, de quadriplégie. Trouver l’énergie et la souplesse pour s’adapter et bien souvent se dévouer sans que cela n’attire l’attention des autres, sans même que qui que ce soit vous remercie. Bref, faire ce qui doit être fait parce qu’il faut bien que cela soit fait.
Certains diront, parmi ceux qui n’ont jamais été confrontés à la vraie adversité, que c’est facile puisqu’il n’y a pas le choix. Faux. Beaucoup s’effondrent, attendent passivement ou se dispersent dans une agitation stérile. C’est une minorité qui tient le coup et qui va aux priorités, même celles qui ne sont pas glorieuses.
À Port-au-Prince, depuis le 12 janvier, je vois de ces deux sortes de courage. L’un se précipite d’un endroit à l’autre, son tout-terrain se faisant voir partout où il y a des victimes à trouver alors que les secours y sont déjà mais ne se montrant pas là où il devrait être. L’autre agit comme une fourmi, avec une obstination un peu aveugle puisque c’est le meilleur moyen d’affronter la réalité, pas à pas, en posant des gestes simples comme aller chercher de l’eau ou monter un abri. Survivre, non pas seulement au séisme mais à ses conséquences. Car il faut avoir vécu au centre de Port-au-Prince pour avoir une idée de ce qu’ont été les nuits qui ont suivi.

Il y a plusieurs jours maintenant, j’ai reçu un courriel du Canada. Pendant que je suis ici, acceptant des risques que je connais, je reçois une nouvelle terrible concernant un ancien collègue. Un homme courageux qui, devant la maladie mentale de son fils a, pendant vingt-cinq, accepté une réalité très dure, de celle en plus qu’il est difficile de faire comprendre aux autres. Quand je dis que mon fils est handicapé les gens font preuve de compassion, pour lui comme pour moi. Mais si, comme mon collègue, je dois dire que mon fils est schizophrène, la réponse tient davantage de la répulsion ou de la peur. Alors je vis mon courage seul, dans le quotidien, sans même l’identifier comme tel.
Avant-hier j’ai appris la mort d’un homme courageux, tué par son fils dans sa cuisine, ou plutôt tué par les démons qui occupent l’esprit de son fils depuis des années et contre lesquels cet homme s’est battu, simplement, un peu chaque jour.


Pendant que certains mourraient ici, lentement étouffés dans la noirceur des décombres qui les ont enterrés vivants, mon collègue mourait les yeux grands ouverts sur une réalité que personne ne devrait voir ; un fils qui tue son père alors qu’il n’y a qu’amour et délire entre eux.
Je me suis déjà fait dire, un soir à Québec, que j’étais courageux et je me suis alors découvert ce courage que je ne connaissais pas ; celui de faire avec la vie, comme elle est. Et de garder pourtant la volonté de la changer. C’est pourquoi la politique est importante et c’est pourquoi elle devrait être exercée avec compassion, dans un réel souci du bien de ses concitoyens. Il faut du courage pour aider ceux qui en ont et ceux qui en manquent, il faut du courage pour passer par-dessus les actions glorieuses et se consacrer à celles qui sont vraiment utiles.
Mais, quelque soit notre force et notre capacité de savoir accepter comme de savoir agir, il me semble que nous espérons tous mourir dans notre lit, dans le calme et sans souffrir. J’ai connu des morts de maladie atroce, des morts mitraillés, des morts à la machette, des morts en automobile, des morts de catastrophe et j’arrive à ce curieux constat que j’ai peut-être vu plus de cadavres nus jetés à la rue que de corps exposés dans un cercueil, que j’ai connu plus de gens dont la vie a été brutalement tranchée que de gens qui sont morts paisiblement. De ce que je vis ces semaines-ci, de ce que j’ai connu au cours de ma vie, me vient un souhait, un désir: mourir sans avoir trop mal et sans trop d’angoisse.
Que la vie m’offre cette ultime lâcheté.

vendredi 16 avril 2010

Les réfugiés et les immigrants (2)

La gouverneure générale du Canada est née en Haïti. Ma conjointe, la mère de deux de mes trois enfants, est née en Italie. Ces deux femmes sont des immigrantes, comme vingt pour cent de la population canadienne. Une personne sur cinq, ici, est née dans un autre pays. Mais c’est ici qu’elle travaille, ici qu’elle paie des impôts, ici qu’elle participe à construire des routes, des écoles, des hôpitaux.
Bien sûr nous sommes tous des immigrants, les amérindiens eux-mêmes l’étant probablement même si la date de leur arrivée laisse place à l’interprétation. Mais, bien au-delà de ce cliché, ce qui demeure c’est la richesse que représente chacun des nouveaux arrivants.
Mon voisin Purcell, à Béthanie, descend d’irlandais chassés par la faim à la suite de la maladie de la pomme de terre. Je descends de français, attirés par le droit de chasser et d’avoir une terre à cultiver. Je mange à Granby dans un restaurant italien dont le propriétaire est né en Italie, je lis Dany Laferrière, j’écoute l’OSM dirigé par Kent Nagano. Du yaourt au fromage, de la coupe de viande aux raquettes, des livres aux disques, de la maison que j’habite aux meubles que j’utilise et à la voiture que je conduis, tout sans exception a été enrichi des l’expérience des autres cultures, des autres pays. Et le pays que j’habite et que je participe à construire c’est ainsi qu’il s’est fait et se fait encore, d’enrichissements, de variétés, de nouveautés.
Au-delà de l’enrichissement culturel et du développement de nouvelles manières de faire que nous montrent nos nouveaux concitoyens il y a aussi l’apport financier direct. Bien sûr les immigrants arrivent avec des capitaux à placer, qu’il s’agisse d’argent frais, de technologie ou de leur simple savoir faire. Mais les réfugiés eux-mêmes, qui arrivent en apparence avec rien, nous apportent quelque chose.
On dit souvent que la richesse d’une entreprise c’est son personnel. Pour un pays, avoir des citoyens est essentiel et en avoir assez pour partager les charges de l’état l’est tout autant. Nous ne sommes que 7 millions et quelques au Québec, moins de quarante millions au Canada. Pour développer et maintenir nos infrastructures de transport il nous vaudrait être bien plus. Sans compter nos villes ; sans les immigrants Montréal serait encore moins peuplée et les taxes y seraient encore plus terrifiantes !
Parlons grossièrement, parlons gros sous. Accoucher une mère coûte quelques milliers de dollars, amener un enfant vivant à ses cinq ans représente une dépense de plusieurs dizaines de milliers de dollars. Quand vous commencez à le scolariser vos dépenses explosent. Bref, un humain qui sait lire, compter, qui connait l’histoire et la géographie, qui peut parler et écrire deux langues représente une valeur de plus de 100 000$. Je ne parle même pas des professionnels, je n’examine même pas le cas des immigrants investisseurs. Je parle d’un réfugié vietnamien qui a quitté son pays en bateau, qui a survécu aux pirates, qui a ouvert un dépanneur et qui, aujourd’hui, sociétaire chez Desjardins, paie son hypothèque de 200 000$, ses taxes, ses impôts et fait éduquer ses enfants en français, lesquels enfants en feront peut-être d’autres avec les miens. Je parle du réfugié afghan qui va aujourd’hui au SERY pour recevoir de l’aide dans son insertion au pays et qui, demain, sera associé dans une concession automobile, ou aide soignant au centre hospitalier.
Je parle de chacun de ceux qui arrivent ainsi et qui, pour le peu d’aide que nous lui fournissons nous amène son corps, son cœur, ses compétences et ses espoirs. Je parle de ceux qui, un jour, ont tout risqué pour venir ici et participer à nos efforts, voulant bien sûr recevoir la juste part de leur travail mais m’apportant en le faisant une nouvelle richesse.
On se scandalise du peu que nous donnons en oubliant qu’un adulte né ici nous aurait couté beaucoup plus. En même temps nous nous plaignons de la dette et disons que nous ne sommes pas assez nombreux pour la payer. Mais chaque fois qu’un réfugié est accepté, chaque fois qu’un immigrant est reçu, ma part de la dette s’allège. Quand on sait qu’en plus l’immigrant paie le Canada pour l’étude de son dossier, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y met de la bonne volonté.
Je me réjouis des naissances qui m’entourent, des nouveaux bébés qui apparaissent dans mon cercle familial ou mon cercle d ‘amis. Je me réjouis tout autant de l’arrivée d’un réfugié ou d’un immigrant, conscient de tout ce qu’ils ont dû accomplir pour venir ici et reconnaissant de toute la richesse qu’ils m’apportent. Dans tous les cas, naissances ou arrivées, il me semble qu’il faut fêter le nouveau citoyen qui se joint à nous et qui nous rendra plus forts et plus ouverts au monde.

mercredi 14 avril 2010

Les réfugiés et les immigrants (1)

Il circule un document sur internet qui compare les avantages donnés aux retraités et ceux donnés aux réfugiés accueillis au Canada, affirmant que ceux-ci sont scandaleusement bien traités, mieux que nos ainés.
Tous les chiffres cités sont inexacts, tous les faits sont faux.
Le 6 mars dernier, Claude Picher a donné les bonnes informations dans la Presse. Sans tout reprendre disons simplement qu’un retraité reçoit du fédéral seulement, sans compter donc les rentes du Québec s’il a occupé un poste salarié, entre 517$ et 1170$ par mois et ce jusqu’à la fin de sa vie. Ce n’est que s’il touche par ailleurs plus de 66 700$ qu’il verra cette rente diminuer.
De son côté un réfugié reçoit le bien-être social et, au début, une aide ponctuelle de 1100$ pour se procurer du linge, des produits de toilette, etc. C’est tout. Et le bien-être social s’arrête évidemment dès qu’il a un travail.
Mais, direz-vous, le retraité a payé toute sa vie pour sa retraite. Oui et non ; nous ne payons pas tous le même impôt et nombreux sont les retraités qui reçoivent plus, à la retraite, que tout l’impôt qu’ils ont versé durant leur vie active. Ceux-là, bien que canadiens, reçoivent donc plus que ce qu’ils ont contribué. Et c’est bien normal, cela s’appelle la solidarité sociale.
À mon sens, la solidarité ne s’arrête pas à la religion pratiquée, la langue parlée ou la couleur de la peau. Encore moins au nom du pays qui est marqué sur un passeport.
Supposez que, demain, à la suite de l’explosion d’un volcan dans l’ouest des Etats-Unis, le Québec soit recouvert d’un mètre de cendres volcaniques et que la présence des particules dans l’air fasse baisser la température moyenne de cinq degrés. Il n’y a plus d’été, plus d’agriculture ; les villes devant être évacuées car l’air y est irrespirable, la valeur des propriétés s’effondre ce qui fait que les hypothèques ne sont plus payées ; les banques font faillite et les entreprises ferment par manque de liquidité et par manque de marché ; il n’y a plus de travail, plus de valeur aux actions, plus de fond de pension. Bref, nous sommes sept millions et nous avons tout perdu.
C’est impossible dites-vous, ça n’arrivera jamais ! C’est ce que pensaient les yougoslaves qui habitaient un pays européen aisé et organisé. C’est ce dont étaient persuadés les argentins qui vivaient dans une société prospère et démocratique. C’est ce que croient plein de gens sur cette planète jusqu’à ce qu’un tsunami, un tremblement de terre, une guerre civile, un coup d’état, une crise financière, fasse d’eux ce qu’ils ne pensaient jamais devenir ; des réfugiés. Un réfugié qui a tout perdu, qui n’a même pas bien souvent une valise avec lui. Et il arrive chez nous parce que les pays ont signé une convention pour protéger les humains, d’où qu’ils soient. De la même façon qu’un bateau n’a pas le droit de continuer son chemin sans assister des naufragés, un pays n’a pas le droit de refuser l’asile à des réfugiés.
Prenez un naufragé à votre bord et laissez-le sur le pont, sans eau, sans couverture, sans nourriture. Il va mourir tout aussi bien que si vous l’aviez laissé sur son radeau. Alors, que devez-vous faire du réfugié que vous accueillez dans votre pays ? Le minimum, au moins ce que vous faites pour votre concitoyen le plus pauvre, le plus délaissé. Et c’est ce que nous faisons. Nous donnons le minimum.
Je ne dis pas qu’il faut donner plus mais j’affirme que l’on ne peut pas donner moins.
J’ai payé toute ma vie pour les fonds de pension et les soins de santé de mes ainés, dont les plus âgés n’avaient d’ailleurs pas payé eux-mêmes pour ses services alors qu’ils étaient salariés. Aujourd’hui que je m’approche de la retraite on me dit que je dois payer davantage pour espérer avoir moi-même une rente ou des soins. Je paie, et sans me plaindre, C’est la juste contribution de chacun au bien collectif. Mais je souhaite que d’autres paient aussi pour moi un jour ; et je ne veux pas que mes enfants soient écrasés par une charge trop lourde. Alors, non seulement suis-je solidaire de l’humanité quand je reçois des réfugiés mais encore suis-je solidaire de mes enfants comme je l’ai été de mes parents. Je travaille maintenant pour que mes enfants aient de nouveaux concitoyens qui partageront les charges avec eux.
Si c’est de la charité, elle est bien organisée puisque j’en profite tant, comme tous les canadiens.

dimanche 4 avril 2010

Joyeuses Pâques

Ce dimanche nous fêtons Pâques. Bien sur les enfants, et bien des adultes, mangeront du chocolat et se réjouiront de se retrouver en famille. Bien sur il y aura sur nos tables de l’agneau ou du jambon, et nous penserons à ceux qui n’ont pas cette chance, surtout dans les temps plus difficiles que nous traversons. Bien sur nous nous retrouverons, chacun tentant de revenir vers les siens, comme on le fait à Noël.
Ce qu’il ne faut pas oublier c’est que Pâques est la plus importante fête religieuse dans notre culture. Le carême est finie, la mort du vendredi saint est renversée, nous vivons la promesse de la résurrection, la promesse du renouveau.
Voilà en quoi il ne faut jamais cesser de croire. Voilà le sens et l’importance de Pâques; le renouveau est toujours possible, il faut toujours y travailler, il ne faut jamais renoncer.
Dans nos moments les plus sombres, devant les difficultés qui s’amoncellent, nous nous laissons aller parfois au découragement. Pâques nous fait souvenir, chaque année, que le printemps revient et qu’il faut savoir l’attendre.
Joyeuses Pâques à vous tous et à vous toutes.

dimanche 28 mars 2010

Cruelle défaite pour les femmes

La semaine dernière, à Ottawa, les députés ont défait une motion présentée par les libéraux. Ce n’est pas la première fois, me direz-vous. Mais cette motion portait sur la présence ou non, dans l’aide internationale, du contrôle des naissances.

Au Canada les femmes ont gagné le contrôle de leur corps et ce contrôle passe par plusieurs droits essentiels ; le droit de refuser une relation sexuelle, même à son conjoint légal, le droit de refuser de porter un enfant, le droit de consacrer sa vie à diverses choses et de ne pas être réduite qu’à la procréation.
Ces droits ont été gagnés de haute lutte par les femmes. Mais nous en profitons tous. Nos familles ont évoluées, nous laissant plus de temps pour être nous-mêmes et pour développer des contacts de qualité avec chacun. La carrière de ma conjointe lui est un lieu d’épanouissement et notre vie commune est plus riche de nos expériences personnelles ; notre situation financière est meilleure qu’avec un seul revenu ; nos enfants ont chacun eu l’occasion de nous connaître mieux ; comme couple, nous avons pu choisir le type de famille que nous voulions.
Ces droits sont fragiles. Il y a régulièrement des groupes qui veulent en remettre l’un ou l’autre en question, particulièrement le droit à l’avortement. Il faut comprendre que c’est un chaine délicate ; enlevez un de ces droits et vous les menacez tous, vous questionnez le type de relation que nous avons aujourd’hui, entre les femmes et les hommes. Je veux bien qu’il y ait des nostalgiques de l’époque de «Papa a raison» mais je ne s’en suis pas. Je ne désire pas entrer à la maison pour y trouver une épouse soumise, le souper prêt et une routine immuable. Et je crois que la grande majorité d’entre nous en est au même point. Nous apprécions l’égalité qui s’est instaurée, les exigences qu’elle suppose et les découvertes qu’elle suscite ; deux têtes qui discutent débouchent sur des résultats plus riches qu’une seule qui impose.

Je travaille dans d’autres pays, mon besoin d’implication faisant que je veux agir, à Granby, au Canada et là où je peux servir. J’ai ainsi vu bien d’autres sociétés sur tous les continents. Ce que je sais c’est que les premières victimes des guerres, des génocides, des épidémies, des séismes, ce sont les femmes. Pas parce qu’elles y meurent davantage que les hommes mais parce que les premiers abus de pouvoir qui s’exercent dans de telles conditions s’exercent sur leur corps. C’est par le viol que se font les opérations de terreur, par l’ensemencement forcé des femmes de l’autre groupe que se font les purifications ethniques. Dans la vie quotidienne, à travers la promiscuité des bidonvilles, au-delà de toutes les religions du monde, ce sont les filles de douze ans qui sont prises, mère à treize ans, femme à quinze et vieille à vingt.
Prétendre agir en développement international sans financer les activités de contrôle de naissance c’est imposer aux femmes des autres pays des réalités que les femmes du Canada refusent. En fait, c’est condamner des populations entières, femmes, enfants et hommes à un mode de vie dont nous ne voudrions pas, dont nous avons émergés peu à peu et dont tous les humains souhaitent émerger.
Ce qui s’est passé à Ottawa c’est que des hommes, car les députés sont majoritairement des hommes, ont voté contre l’intérêt des femmes. Quelque soit leur parti ils se sont montré petits, indifférents au sort de la moitié de l’humanité et ignorants de nos réalités à la fois sociologiques et historiques.

vendredi 26 mars 2010

Mon absence

J'ai été très absent ici, étant très présent ailleurs. Le travail en Haïti s'est enchaîné, le tremblement de terre du 12 janvier est survenu. Même si j'ai écrit et publié des textes ailleurs j'ai négligé de le faire ici. Je vais tenter de reprendre un peu nos habitudes.
Voici, pour recommencer, un texte datant d'il y a quelques semaines.


Retourner

Béthanie, mercredi le 10 février, 6h30.
Autour de la maison c’est la quiétude complète, celle de l’hiver qui est encore plus profonde que celle de l’été. À part les traces du renard dans la neige sous mes fenêtres, à part les folles envolées d’un groupe d’oiseaux gourmands qui se précipitent sur les dernières grappes du vinaigrier, il n’y a que les bruits tranquilles du feu de bois dans la cheminée, que la force apaisante d’une demeure solide et habitée, riche de souvenirs familiaux.
Demain, à cette heure, je serai dans l’avion pour Miami avec plus de 160 kilos de bagages. Je retourne à Port-au-Prince avec des tentes, de l’argent, du chasse-moustiques, des médicaments. Il n’est pas évident de trouver sept tentes au mois de février, encore moins évident de trouver près de deux litres de chasse-moustiques. Ce qui m’étonne encore c’est l’absence de réaction des caissières. Au magasin où j’ai enfin trouvé les abris de toile que je cherchais, la caissière a tout de même fait le commentaire que je profitais bien de la vente des produits hors saison ; mais à la pharmacie sa collègue ne s’est pas interrogée deux secondes sur ce qui pouvait me motiver, alors qu’il fait moins dix, à acheter huit bouteilles de 240 ml chacune de produit contre les insectes piqueurs.
En fait, parmi les nouveaux dangers qui guettent la population de Port-au-Prince il y a le paludisme et la fièvre dengue. Les moustiques nocturnes peuvent transmettre la malaria, ou paludisme, maladie contre laquelle nous disposons maintenant de plusieurs traitements. Mais les moustiques diurnes, eux, sont parfois transmetteurs de la dengue, dont il existe plusieurs variétés et contre laquelle nous n’avons pour ainsi dire pas de moyens médicaux. Il faut déjà être prudent en temps normal durant la période des pluies et se protéger avec un répulsif le jour et avec une moustiquaire la nuit. Avec les ruines qui occupent actuellement une grande partie de la ville, les mares et les flaques d’eau croupie vont être nombreuses, ce qui va favoriser l’explosion de la population de moustiques.
Demain je serai donc en route. Montréal Miami, puis Miami Santo Domingo, puis, par un moyen ou par un autre, Santo-Domingo Port-au-Prince en espérant arriver vendredi dans la journée. J’irai alors à nos bureaux où se regroupe notre personnel haïtien dont la grande majorité a perdu leur maison le 12 janvier. Et j’aurai avec moi des choses qui n’ont rien de spectaculaire mais qui sont essentielles.
Depuis le séisme il y a bien des bonnes volontés mais trop souvent désorganisées et parfois davantage publicitaires qu’utiles. Bien sûr il y a des blessés à soigner et transporter une équipe médicale peut se justifier. Et puis cela fait de belles photos, de beaux reportages, de belles images. Mais on devient plus sceptique quand on sait que les grandes agences mondiales sont déjà sur place, que certains groupes interviennent sans même une autorisation de notre ambassade et sans connaître ni le pays ni ses besoins.
Des tentes, des toilettes chimiques, du savon, du purificateur d’eau, du chasse-moustique, du papier de toilette et des serviettes hygiéniques. Il n’y a rien là de bien excitant pour des journalistes ; personne ne se fera photographier près de toilettes de chantier. Et pourtant ces besoins sont criants. Oui, il y a près de 250 000 morts, oui il y a des milliers de mutilés et de blessés. Mais il y a aussi un million de sans-abri, et les blessés et les mutilés en font partie. C’est magnifique d’opérer quelqu’un mais c’est inutile s’il doit mourir de la dengue trois semaines plus tard parce que personne ne veut s’occuper des toilettes, tellement moins glorieuses que les tables d’opération.
La santé publique n’est pas qu’une affaire de médecins, surtout pas qu’une affaire de chirurgien. Les égouts ont probablement fait davantage pour notre santé collective que les progrès de la chirurgie. Et il faut bien que quelqu’un s’en préoccupe.
Les chiffres sont énormes et on oublie leur valeur. Imaginez toute la population de l’île de Montréal morte, blessée ou sans-abri. Imaginez que vous deviez enterrer cinq fois tous les habitants de Granby, et que vous deviez en loger vingt fois plus. Hommes, femmes, enfants.
Demain je retourne avec des tentes et du chasse-moustique parce qu’il faut bien que ce soit fait. Au moins pour ceux et celles dont je suis responsable, pour ceux avec qui je travaille depuis 2008 et qui sont, avec leur famille, à la rue.

Bernard Demers