Monsieur Guy, si vous vous en
souvenez, est né au Congo de parents eurasien (le papa) et vietnamien (la
maman) ayant la nationalité française. Mais ses parents ne sont pas les seuls
membres de la famille à s’être finalement implantés au Congo à la suite de la
perte de l’Indochine. Une sœur de sa mère a suivi la même route quelques années
plus tard. Elle aussi a débarquée à Pointe-Noire, avec son mari eurasien, et
s’est dirigée vers Brazzaville. La ressemblance entre les deux familles
s’arrête toutefois là car, si la tante est bien arrivée à Brazzaville et y a
vécu auprès de sa sœur, l’oncle s’est arrêté en route à Sibiti.
Il y a eu sept épouses et
vingt-huit enfants. Aujourd’hui, si vous dites son nom de famille à haute voix
à Sibiti il y a environ quatre cent personnes qui se tournent vers vous et qui
disent «Oui, c’est à quel sujet?»
L’oncle polygame n’est pas une
exception, loin de là. Ici les hommes ont couramment plusieurs femmes même si
la loi prévoit la monogamie. On épouse une femme à la mairie, une autre à
l’église, une autre encore de manière traditionnelle. Une fois l’habitude
prise, pourquoi s’arrêter? Et les épouses cohabitent, un peu de gré, un peu de
force.
Ma conjointe et moi-même ne nous
scandalisons pas des pratiques des pays où nos missions nous appellent. Mais,
cette fois, cette polygamie de fait, très répandue, nous posait un problème
mathématique. Si tant d’hommes ont deux, trois ou quatre épouses, et cela de
manière publique, comment cela se fait-il que l’on ne manque pas de femmes? Les
trois quart des hommes devraient être célibataires, à ce rythme-là.
En fait, être époux c’est aussi
automatiquement être père de tous les enfants nés de la femme qu’on épouse. On
distingue le fait d’être géniteur du fait d’être père. Bref, vous pouvez avoir
trois épouses et onze enfants, cela ne signifie pas que vous êtes le père
génétique de ces onze enfants. Vous êtes peut-être le géniteur de cinq d’entre
eux seulement. Par contre, vous êtres peut-être aussi le géniteur de
vingt-quatre autre enfants qui ont plusieurs autres pères. Le géniteur est sans
importance, il n’a pas d’existence, seul le père compte.
Il y a la polygamie de fait
et il y a, en parallèle, une multiplication magique des femmes qui ont des
apparitions publiques mais aussi plusieurs apparitions privées et plusieurs
géniteurs même si elles n’ont, elles, qu’un seul époux.
Alors, quand un employé vous dit
qu’il doit partir trois jours pour aller au village à l’enterrement de la
deuxième veuve de son oncle, il veut bien dire que son oncle est mort un jour
et qu’il a laissé plusieurs veuves; et que l’une d’elles, la deuxième, vient de
mourir. Et vous ne vous étonnerez pas quand, quelques semaines plus tard, il
vous dira qu’il a désormais la charge de son premier cousin.
L’oncle de Monsieur Guy devait
avoir une âme d’anthropologue pour consacrer sa vie à l’étude détaillée de ce
phénomène…