dimanche 2 mai 2010

Enseigner

Vous avez très probablement déjà connu le plaisir de voir un jeune enfant faire ses premiers pas. On y éprouve une satisfaction réelle, comme si on était lié à son succès. Et c’est bien un peu ça qui se passe. Il nous a vu marcher, il a essayé, on l’a aidé des dizaines de fois. Et puis, aujourd’hui, il s’est lancé, affrontant toute la largeur de la pièce.

Ce plaisir je l’ai éprouvé bien souvent. Non pas seulement avec mes enfants mais avec des milliers de jeunes étudiants dans des cégeps et des universités. Voir le moment où, dans une salle de cours de quinze ou de deux cents personnes, des yeux s’allument devant ce qui leur est devenu une évidence; la porte qui s’ouvre c’est l’étudiant qui la pousse, bien sûr, mais c’est le maître qui la lui a indiquée.

Pour éprouver cette joie d’enseigner il vous faut connaître très bien un champ de connaissance, vous y mouvoir à l’aise et aimer en parler et vous y exercer. Vous ne pouvez pas enseigner la littérature si vous n’aimez pas lire. Un professeur de littérature ne sait pas s’il travaille ou non quand il relit Voltaire ou découvre un nouvel auteur. Quand il analyse un texte et s’en réjouit, il pense déjà à partager ses découvertes avec ses étudiants. Un professeur d’anglais ou de psychologie n’agit pas différemment. Je ne peux pas remarquer des comportements chez les gens sans m’imaginer les utiliser dans une salle de cours et, lorsque je suis en train de donner un cours je l’émaille d’une multitude d’exemples. Bref, j’aime ma profession et je ne peux pas cesser d’être psychologue pas plus que je ne peux cesser de savoir lire. Dès que je vois des lettres, c’est automatique, j’essaie de les lire. Essayez de vous retenir de lire, faites l’exercice quelques heures de ne pas lire les affiches, les panneaux, les boîtes de céréales; vous n’y arriverez pas !

J’ai trente-cinq de métier dont une quinzaine d’années où j’ai d’abord été professeur. J’ai donnée des cours du Lac St-Jean au Laos en passant par Haïti ou l’Estrie. J’ai enseigné la méthode scientifique, les bases de la psychologie, les théories de l’apprentissage, le leadership et j’en passe. Mais je ne pourrais pas enseigner au secondaire.

Mon père est biologiste, il a été président d’une association internationale de biologie, professeur émérite d’une grande université, il a formé des milliers d’étudiants. Mais il n’aurait pas le droit de donner un cours au secondaire.

Je connais ainsi des dizaines d’écrivains ou de scientifiques qui sont non seulement des spécialistes reconnus mais qui sont passionnants à écouter et qui ont d’énormes capacités pédagogiques. Mais même s’ils s’appellent Hubert Reeves ou Pierre Dansereau, ils ne peuvent pas donner un cours au secondaire. Ils n’ont pas leur brevet d’enseignant et ne l’auront jamais.

Il y a quinze ans encore un étudiant universitaire faisait son baccalauréat en biologie puis faisait un certificat en pédagogie. Il réalisait des stages en milieu scolaire et obtenait son brevet d’enseignement. Nous avions ainsi un professionnel qui pouvait œuvrer en biologie ou en milieu scolaire. Par ailleurs nous pouvions, si nous manquions d’enseignants, inviter des biologistes à faire leur certificats en pédagogie et obtenir rapidement ainsi de nouvelles ressources spécialisées.

Et puis, pour quelques bonnes raisons et beaucoup de mauvaises raisons, nous avons modifié les conditions d’obtention du brevet. Il faudrait désormais faire un baccalauréat de quatre ans en sciences de l’éducation au cours duquel on ferait environ deux ans de pédagogie et deux ans dans une ou deux disciplines.

Le résultat est catastrophique. Les étudiants qui aiment vraiment une discipline ne vont pas en sciences de l’éducation. Ils n’auront pas accès à l’enseignement secondaire s’ils ne font pas au moins trois années d’études après leur baccalauréat disciplinaire; il en résulte une pénurie d’enseignants, surtout dans le secteur des sciences. Par ailleurs les diplômés de sciences de l’éducation n’ont souvent qu’un vernis disciplinaire et ne possèdent pas la matière avec toute l’aisance que l’on attend d’eux.

On a voulu professionnaliser l’enseignement au secondaire ; on l’a sclérosé. La première qualité d’un enseignant c’est sa passion de transmettre sa discipline. Pour cela il faut être amoureux d’un champ du savoir et s’y vautrer à l’aise. Et il ne faut surtout pas être condamné à n’être, toute sa vie, qu’enseignant au secondaire sans avoir la possibilité de retourner à sa discipline de base pour s’y rafraichir et s’y conforter.

Le secondaire est ennuyeux pour les élèves. Il l’est tout autant pour les enseignants. Ne nous étonnons pas que les décrochages y soient aussi catastrophiquement nombreux. Reconnaissons nos erreurs et assurons nous d’avoir les enseignants dont nos enfants ont besoin ; des gens passionnés, mobiles, ouverts, circulant de leur métier à l’enseignement et pleinement à leurs aises avec les savoirs qu’ils sont sensés transmettre.

1 commentaire:

dmarquis a dit…

entièrement d'accord ...former des enseignants pour le secondaire c est avant tout former des spécialistes et passionnés d'un savoir académique spécifique